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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 1er janvier 1855, lundi après-midi, 2 h. ¾

S’il est vrai, mon adoré bien-aimé, que toute bonne action porte avec elle sa récompense, celle que tu viens de faire pour ma pauvre fille et pour moi doit te mériter dans ce monde et dans l’autre tous les bonheurs et toutes les joies [1]. Aussi, mon doux bien-aimé, loin de te reprocher mes larmes, laisse-les s’échapper librement car chacune d’elles seraa au ciel un jour les plus précieuses perles de ta couronne de gloire. Tout ce que le cœur peut ressentir de pieuse reconnaissance, d’admiration et d’amour, je le verse sur tes pieds adorés. Sois béni par moi sur la terre, comme tu l’es là-haut par nos saintes âmes, pour le sublime monument expiatoire que tu as consacré à la mémoire de ma fille et à l’honneur de son père dont tu répares ainsi tous les torts qu’il avait eusa envers sa pauvre enfant [2]. À défaut d’expressions qui me manquent pour t’exprimer tout ce que je sens d’ineffable, d’admiration et d’adoration, je te donne mon cœur, mon esprit et mon âme sans en rien réserver.
Suzanne m’a remis ma chère petite lettre annuelle ce matin [3]. Comme je me doutais qu’elle devait l’avoir depuis hier, j’ai attendu avec bien de l’impatience l’heure à laquelle je pourrais la réveiller sans inhumanité. Aussi dès qu’une petite lueur s’est manifestéec sur mes stores, je me suis levée pour l’obliger à en faire autant. Enfin, j’ai eu mon adorée petite lettre à 7 h. ¼ et je l’ai lue à la lumière. À chaque ligne, j’étais tentée de te reprocher d’avoir regardé dans mon cœur, tant tout ce que tu me dis est tout ce que je sens moi-même. Cela m’a rappelé le fameux : « il est pareil à l’autre » de ta ravissante petite Dédé [4]. Oui, mon adoré bien-aimé, mon amour est tout pareil au tien et il me faudrait copier mot à mot tout ton cher petit message pour te raconter tout mon cœur. Lequel de nous deux plagie l’autre ? En votre qualité D’ORIGINAL, vous direz que c’est moi et je ne m’en fâcherai pas parce qu’au fond de mon âme, je sens que la première initiatived est venue de moi et que la dernière s’exhalerae dans mon dernier soupir. Je me réjouis d’avance de la surprise que te causera mon âme quand tu la verras à son vrai jour dans le paradis. En attendant, il faut que tu supportes l’affreux travestissement humain sous lequel Dieu la force à se montrer à toi.
Quand te reverrai-je, mon cher petit homme ? Ce matin, j’ai à peine eu le temps de t’embrasser. Je n’ai pas osé rester auprès de toi parce que je sentais que je ne pourrais pas m’empêcher de pleurer encore d’attendrissement, de piété, de reconnaissance, d’admiration et d’amour.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16376, f. 1-2
Transcription de Magali Vaugier assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Massin, Blewer]

a) « seront ».
b) « eu ».
c) « manifesté ».
d) « iniative ».
e) « exalera ».

Notes

[1« Claire P », dont le manuscrit est daté du 14 décembre 1854, prendra place dans Les Contemplations, V, 14.

[2Pradier a reconnu sa fille deux ans après sa naissance. Il a versé sa pension de manière irrégulière. En 1845, alors qu’il est en procédure de séparation de corps avec sa femme, il demande à Claire de cesser d’utiliser son patronyme. Il n’a pas réalisé l’œuvre d’art à sa mémoire qu’il avait promise à Juliette.

[3Lettre publiée par Jean Gaudon, ouvrage cité, p. 212.

[4Cette expression apparaît déjà dans la lettre du 3 juin 1841.

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