23 mai 1882

Paris, 23 mai 1882, mardi matin, 10 h.

Je viens de prendre un fort bain, mon cher petit homme, ce qui t’explique le retard de mon doux gribouillis. Mais les choses du cœur peuvent être différées et jamais perdues, quand^a on en a, comme moi, la source intarissable en soi. « C’est bête comme tout ce que je dis là » [1] mais je n’ai pas le temps de trouver autre chose plus spirituelle. Et puis il fait un temps à ne pas distinguer sa main gauche de sa main droite. Nous voici entrés dans la saison des orages ; gare à saint Médard. J’ai bien peur que nous n’ayons mangé notre été en herbe ce mois-ci et qu’il ne nous reste plus que de l’eau à boire tout le reste de l’année ! Je vais écrire à Méaulle tout à l’heure que tu l’invites à dîner avec sa femme samedi prochain et j’écrirai aussi à la pauvre M^me [Grenier  ? Granier  ?] et à sa vaillante fille une lettre de condoléance en ton nom et au mien à l’occasion du bout de l’an de leur mari et père. Tu as séance publique au Sénat à deux heures aujourd’hui, l’ordre du jour à l’ordinaire. J’ai inscrit au bas de la feuille recette les dix mille francs que tu as envoyés à la Banque de Guernesey afin que tu t’en souviennes^b au besoin. Et je t’écris ici que je t’adore pour que tu t’en souviennes^b jusque dans l’éternité.

[Adresse]
Monsieur Victor Hugo

BnF, Mss, NAF 16403, f. 92
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « quant ».
b) « souvienne ».