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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 mars 1839

13 mars [1839], mercredi, 11 h. ¾

La pendule avance à peu près de deux heures. Je te préviens de cela dans le cas où tu prendrais à la lettre l’heure à laquelle je t’écris. Mon cher bien-aimé, vous aviez l’air tout occupé quand vous êtes venu. Cependant, nous parlions de vous avec respect et enthousiasme, moi j’en parlais avec amour parce que c’est la seule langue que je connaisse quand je parle de toi. Je voudrais que tu aies écouté notre conversation depuis un bout jusqu’à l’autre. Je serais fière et joyeuse car tu aurais surpris le secret de mon cœur : l’admiration et l’amour que j’ai pour toi et que je professe tout haut en arrière de toi, car je crains toujours que tu te méprennes sur des sentimentsa exprimés avec tant de véhémence et d’exaltation. Je sens trop fortement pour bien m’exprimer mais je t’aime, c’est ce qui est bien vrai et bien sûr pour tous ceux qui me voientb et m’entendent. Je ne t’ai presque pas vu ce soir, je voudrais bien que tu reviennes tout de suite. Je t’embrasserais et je serais la plus heureuse des femmes. Il me semble que tu avais ditc que tu n’irais pas au Théâtre Français sans moi ? Je t’aime, mon Toto, je t’adore, mon Victor.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16337, f. 255-256
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette

a) « sentimens ».
b) « voyent ».
c) « dis ».


13 mars [1839], mercredi soir, 9 h.

1839a

Vous ne croirez peut-être pas, mon Toto, que je ne viens que de finir à présent mes tripotages et pourtant c’est bien vrai. J’ai le cœur gros et l’âme pleine d’amour, et cependant j’ai mes pauvres yeux rouges et gonflés, c’est qu’il ne suffit pas d’aimer pour être heureuse car sans cela il n’y aurait pas de femme plus joyeuse que moi. Il faut encore l’estime de l’homme qu’on aime et voilà ce que je n’aurai jamais, quelque abnégation de toute coquetterie et de toute liberté [que] je fasse à mon amour. Je sais cela, je ne me fais pas d’illusions, et c’est ce qui rend ma vie si triste et si dépourvue d’avenir. Au reste, telle qu’elle est, je la préfère à tout au monde et je suis une insensée de ne pas l’accepter, d’essayer de la changer. Il y a des choses sur lesquelles on ne peut pas revenir, mon passé est du nombre et je dois le subir avec courage et résignation. Et pour commencer je ne veux plus parler de ce qui m’afflige etb pour plus grande preuve je fais ici le portrait de M. P [1]… recevant des mains de la beauté le chef-d’œuvre de Toto. Il est à genoux comme il convient à directeur des TABACS [2]. Vous voyez bien, mon amour, que je ne demande pas mieux que de rire et que lorsque je pleure, c’est que j’ai beaucoup de chagrin. Ainsi c’est à vous à ne m’en pas faire. Mon dessin fait fureur parmi les femelles qui m’entourent. Oh le nez ! Tiens c’est un petit oiseau dans une cage. Les malheureuses, elles ne se doutentc pas que c’est d’un tableau charmant dont elles parlent avec cette irrévérence. Donnez-moi votre vec que je le baise et ne soyez plus jaloux si vous pouvez ou plutôt soyez-le puisque cela prouve que vous m’aimez.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16337, f. 257-258
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette

a) Écrit d’une autre main.
b) Dessin :

© Bibliothèque Nationale de France

c) « doute ».

Notes

[1Vraisemblablement James Pradier.

[2À élucider.

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