25 avril 1863

Guernesey, 25 avril [18]63, samedi matin, 8 h.

Cher adoré, je ne peux pas penser sans un serrement de cœur à la décision que nous allons prendre lundi toi et moi de séparer nos deux maisons [1] et de nous éloigner des yeux l’un de l’autre. Cette idée m’est si odieuse que je me sens capable de tout pour l’empêcher du moins pour en retarder le moment autant que je pourrai me tenir sur les jambes ce qui durera encore bien longtemps à en juger d’après ma santé actuelle. Demain, mon cher adoré, nous en parlerons à fond. Jusque là je te supplie de ne rien dire ce soir sur ce sujet devant notre groupe afin de nous laisser toute liberté dans la dernière résolution à laquelle nous nous arrêterons demain. En attendant jamais échange de regards et de signes ne m’a paru plus doux, plus cher et plus attendrissant que ce matin quand je t’envoyais mes tendresses à travers les [illis.] et que tu me télégraphiais toutes sortes de douces choses [2]. Renoncer à tout cela pour assurer peut-être quelques heures de plus à ma vie, vraiment cela n’en vaut pas la peine. La question pour moi n’est pas de vivre longtemps mais de vivre heureuse le plus près de toi possible et puis le reste à la volonté de Dieu. Si tu savais comme je t’aime, tu saurais bien que c’est ton amour ma santé, le reste n’est qu’accessoire, je le sens plus que jamais en ce moment. Je t’adore.

BnF, Mss, NAF, 16384, f. 106
Transcription de Chantal Brière