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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 décembre [1844], lundi midi

Comment te remercier, mon adoré, comment te dire toute ma reconnaissance, tout mon respect et toute mon admiration pour ta générosité sans borne ? Je ne sais que t’aimer, je ne peux que t’aimer. Et je ne veux que t’aimer. Ô mais je t’aime aussi comme jamais homme n’a été aimé avant toi et ne le sera après toi. Je t’aime, je t’aime, je t’aime. Mon rêve, mon ambition, mon suprême vœu serait de donner ma vie pour toi. Mon Victor adorable je t’aime. Je n’ai pas vu ma pauvre Péronnelle [1] ce matin. Il y avait déjà un quart d’heure qu’elle était partie quand je me suis éveillée. Il est vrai que je l’avais quittée bien avant dans la nuit et que je l’avais bien embrassée. Mais, ce qui abonde ne vicie pas et c’est mille fois vraia en affection surtout. Il faudrait tâcher de me mener à la pension [2] d’ici à la fin du mois. Cher petit homme bien-aimé, je ne vois pas quand et comment tu pourras le faire mais est-ce que tu ne pourrais pas me laisser aller en omnibus ? Je te dirais l’heure à laquelle je sors de chez moi, et qui serait convenue avec toi, ainsi que l’heure à laquelle je reviendrais ? Il est urgent que je voie cette dame avant le 1er janvier. Cependant si cela te répugne trop, n’y pensons plus. Avant toute chose je ne veux pas te contrarier. Le premier de tous mes besoins, et le seul même, est de te plaire et de ne pas te tourmenter. Et, à ce sujet, je te dirai mon adoré, de ne rien craindre de ma part pour M. P. [3] Je ne ferai rien que tu ne saches et avec ta permission. Aussi sois bien tranquille, mon Toto chéri, de ce côté-là comme de tous les autres.
Est-ce que je ne te verrai pas aujourd’hui mon bien-aimé ? Ton beau-père allait mieux hier au soir. J’espère que ce mieux se sera soutenu et que tu n’auras pas besoin d’y passer toute la journée et toute la soirée d’aujourd’hui. Il est vrai qu’à cet âge-là et par l’affreux temps qu’ilb fait on ne peut compter sur rien. Enfin, j’attendrai, comme toujours, en pensant à toutes tes bontés en repassant une à une toutes les admirables et douces paroles que tu m’as dites depuis quelques jours, à toutes les douces et charmantes caresses que tu m’asc faites et surtout à celles que tu me dois et je tâcherai, sinon d’avoir de la patience, d’avoir au moins du courage. De ton côté, mon adoré, pense à moi, plains-moi, désire-moi et aime-moi. Je le sentirai d’ici et cela me donnera de la force pour attendre ton retour. Prends soin de ta santé. Ne sors pas sans être bien chaussé et bien couvert car le temps est de plus en plus abominable et malsain.
Je baise tes quatre petites pattes blanches et le reste des millions de fois.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16357, f. 155-156
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « vrais ».
b) « qui ».
c) « a ».


16 décembre [1844], lundi soir, 5 h.

Tu continuesa d’être très affairé et très pressé, mon Toto, et moi je persiste à trouver cela très triste et très ennuyeuxb de sorte qu’à nous deux nous sommes fort monotones pour ce qui nous concerne personnellement. Je t’ai obéi pour le journal d’Orléans que j’ai lu séance tenante. Quant à La Presse [4] je n’en ai pas encore eu le temps mais si tu viens avant que je n’aie pu la lire tu l’emporteras mon bien-aimé et je le trouverai très bon. Je l’aurais même trouvé ainsi quand bien même tu ne l’aurais pas apportée du tout. Il est trop juste que ce soit les personnes de ta maison qui s’en emparentc ainsi que de tout ce qui est adressé chez toi. Ceci est bien entendu, mon petit Toto adoré, et ne doit pas te donner l’ombre d’un souci ni d’une préoccupation. J’en serais honteuse et fâchée. Je ne te demande qu’une chose avec une insistance importune et quelquefois féroce, c’est de te voir. Le reste je m’en soucie comme de deux œufs. Mets ça dans ta chère petite caboche et viens me voir le plus tôt possible. Je te dirai mon petit Toto que je me ressens toujours de mes petites coliqueries. J’attribue cela au temps et je te conseille de te surveiller avec soin parce que je ne veux pas que tu sois malade. C’est bon pour moi qui n’ai que cela à faire. En attendant que tu viennes mon bien-aimé je pense à toi et je t’aime sans la moindre distraction.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16357, f. 157-158
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « continue ».
b) « ennuieux ».
c) « empare ».

Notes

[1Terme affectueux par lequel Juliette désigne sa fille.

[2Claire est en pension à Saint-Mandé.

[3James Pradier a demandé à Victor Hugo d’intervenir en sa faveur auprès de M. Debelleyme pour éviter la prison à sa femme. Hugo lui écrira une lettre le 18 décembre, en faveur de Pradier, « qui est un des plus admirables sculpteurs qu’ait eu la France et dont le nom n’est prononcé en Europe qu’avec la profonde estime qui s’attache à un merveilleux talent […] M. Pradier voudrait vous entretenir d’une affaire douloureuse et grave pour laquelle il espère que votre haut et généreux appui ne lui manquera pas. » [Douglas Siler, ouvrage cité, t. III, p. 105.)

[4Quotidien fondé en 1836 par Émile de Girardin.

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