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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 mai 1837

13 mai [1837], samedi, 11 h. ¾.

Bonjour mon cher petit Toto. Bonjour. Je suis là en vous attendant à la grâce de Dieu. Décidément je commence à croire qu’il y a entre vous et moi une barrière enchantée que vous ne pouvez plus franchir, ayant perdu votre amour. Je veux dire votre talisman. Enfin quoi qu’il en soit, mes plus belles années, comme vous les appelez, s’écoulent fort tristement et trop uniformément. Que cela vous arrange, je le conçois trop bien, mais que cela m’attriste et me décourage, je le comprends encore mieux. Je viens d’écrire à mon père [1] qu’il ait à venir demain. J’ai reçu une lettre de Mme Krafft. C’est peut-être pour une loge de Saint-Antoine [2]. Et pour peu qu’elle la demande pour aujourd’hui elle attendra longtemps car il n’est pas probable que le beau temps aidant vous veniez avant 7 h. du soir. MADOUÉ [3] ! que les curés sont heureux ! et autre exclamation à l’usage des gens qui sont très GAIES [4] ET TRÈS HEUREUXa. Jour mon petit Toto. Jour mon bonhomme. Jour. Que ne suis-je votre Boulanger [5] ? Il m’en CUIRAIT du bonheur tout chaud pour moi les heures de digestion [6], c’est-à-dire 5h. dans une soirée. Pour moi les beaux vers inédits, pour moi les charmants petits dessins, enfin pour moi la conversation expansive et affectueuse. Heureux BOULANGER ! Je suis très triste mon Toto. Je vous en préviens afin que vous n’en soyez pas surpris comme d’une chose inattendue et impossible. Je suis triste car je suis sûre que vous ne m’aimez plus.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 159-160
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) Ces mots écrits en gros occupent toute la ligne.


13 mai [1837], samedi, midi ¾

Ma seconde lettre ne sera pas plus gaie que la première, et je suis toujours dans la même disposition d’esprit. Je suis triste au-delà de tout ce que tu peux t’imaginer car il m’est démontré plus que jamais que tu ne m’aimes plus. Je n’ai jamais pris ton dévouement pour de l’amour. Je sais très bien que tu es généreux par tempérament, ainsi je prends ton dévouement pour ce qu’il est. Mais j’ai besoin de plus ou de moins que cela. Je veux ton amour ou rien et je crois que depuis longtemps je n’ai rien. C’est ce qui fait que je ne suis pas heureuse et que je me tourmente [pour  ?] tout. Si je n’écoutais que mon chagrin je m’en irais dès aujourd’hui pour ne plus revenir, persuadée que je suis que je te rendrais service. Tu vois mon pauvre Toto dans quel profond découragement je suis tombée, pas par ma faute, car Dieu sait que je fais humainement tout ce qui dépend de moi pour conserver et pour augmenter ton amour. Autrefois je n’avais rien à faire pour cela. Aujourd’hui c’est différent. Enfin c’est comme cela et toutes les jérémiades du monde ne feront pas que tu m’aimes. Si tu ne m’aimes plus, ah ! que je voudrais pouvoir m’ôter cette épine du cœur ! Que je serais moins à plaindre ! Bonjour mon cher petit homme [adoré  ?].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 161-162
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

Notes

[1C’est ainsi que Juliette désigne son oncle René-Henry Drouet.

[2Il s’agit du Théâtre de la Porte-Saint-Antoine, auquel Juliette avait refusé un engagement en janvier 1836.

[3« Madoué ! » : « Mon Dieu ! », en anciennes langues celtiques et armoricaines.

[4L’accord au féminin est possible, comme dans « bonnes gens ».

[5Le nom de Louis Boulanger (1806-1867) est propice à la métaphore qui suit. À cette époque, il est l’un des plus proches amis de Hugo, son correspondant privilégié ainsi que le destinataire de nombreux poèmes.

[6Il faut songer ici aux acceptions multiples du verbe « cuire », qui enrichissent le sens du reproche implicite. L’expression « en cuire à quelqu’un » désigne un désagrément, un regret, un repentir ; tandis qu’en médecine, « cuire » signifie « digérer » ou « élaborer ».

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