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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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1er mai 1837

1er mai [1837], lundi après-midi, 2 h. 

Voici enfin le premier mai et le premier beau jour de l’année. Nous avons enfin, il faut l’espérer, passé tous les jours de froid et de pluie qui attristaient notre horizon. Dorénavant plus de mauvais temps, plus de mauvaises pensées, plus de fâcheuses bouderies mais que des beaux jours et du bonheur. N’est-ce pas mon Toto bien-aimé ? Notre avril a été assez rude à passer pour jouir enfin de notre mois : « lorsque mai tout en fleurs » [1], etc. Chère âme, vous auriez dû aujourd’hui me donner le bouquet que vous m’aviez promis hier, cette belle fleur d’espérance et d’amour sur laquelle je comptais pour réjouir mes pauvres yeux encore mouillés de notre dernier orage, pour parfumer mon âme infectée de pensées tristes et amères. Vous ne me l’avez pas donnéea, cette belle fleur tant désirée. C’est bien mal à vous, méchant. Si vous voulez que je vous pardonne, vous me la mettrez ce soir sous mon chevet afin qu’elle embaumeb mes rêves toute la nuit et que je croie voir, en songe du moins, que tu m’aimes encore comme autrefois. Si vous saviez comme je vous aime, moi. Si tu le savais mon cher bel ange, tu détesterais de toutes tes forces toutes les mauvaises pensées que tu as sur moi et tu te mettrais à deux genoux devant la pauvre femme qui recèle un trésor d’amour à faire envie aux anges du ciel. Sois heureux mon Toto, sois tranquille mon amour, je t’aime tant, moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 111-112
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « donné ».
b) « embeaume ».


1er mai [1837], lundi après-midi, 2 h. ¼

Encore moi, toujours moi. C’est que je n’en ai jamais fini quand il s’agit de vous dire ce que j’ai dans le cœur. Et puis je veux bien mériter ma bonne petite lettre afin que vous n’ayez aucun prétexte de me la faire attendre. Jour. Jour. Un gros O. Jour un petit o. Quel beau temps mon Dieu ! Vous seriez bien gentil si vous veniez de bonne heure, à cause de ma pauvre Claire qui a le nez au vent comme le chien d’arrêt. Je suis sûre qu’elle vous aimera bien si vous faites cela pour elle. Moi qui suis plus désintéressée, je ne vous en aimerai pas plus parce que je vous ai tout donné depuis longtemps. Jour mon cher petit homme bien-aimé. Jour mon petit apa. Je suis très geaie, tant que je peux du moins. C’est à vous maintenant à faire le reste. Jour [vous  ?], vieux [Sien  ?] qui n’avez pas de [sandelles  ? [2]]. Jour je vous aime entendez-vous. Venez très tôt et recevez d’avance nos bénédictions. Je vais me dépêcher d’être prête. Jour. Je vous baise de l’âme. Je vous trouve beau et bon. Il est vrai que j’ai encore mon garde-vue [3]. Je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 113-114
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein


1er mai [1837], lundi soir, 7 h. [¼  ?]

Ce n’est pas une fois seulement que je vous aurai écrit trois lettres en un jour avant que vous n’ayez tenu, vous, votre promesse. Cependant j’en avais bien besoin pour oublier beaucoup d’injustice, beaucoup de paroles amères et beaucoup de reproches non mérités. Et puis je suis superstitieuse et je crois qu’une lettre de toi pour commencer ce mois de fleurs et de soleil nous aurait porté bonheur. Je viens d’envoyer ma fille au feu d’artifice. Maintenant je suis plus tranquille, c’est-à-dire du côté de la fête que je lui devais. Car autrement j’aurais préféré l’accompagner moi-même. Maintenant que j’en ai pris mon parti, je ne suis plus grognon et j’attendrai patiemment que tes occupations te permettent de revenir auprès de moi. J’ai gardé mon mantelet dans le cas où tu viendrais me chercher. C’est pour t’obéir ce que j’en fais, car à te dire le vrai, je ne crois pas que tu puisses venir avant minuit. Tant mieux pour moi si je me trompe mais je crains bien d’être dans le vrai en augurant ceci. En attendant et quoi qu’il en soit, je t’aime de toute mon âme et de toutes mes forces. Pardonne-moi si je t’ai déplu tantôt, ce n’est pas ma faute. Je pensais à cette pauvre Claire et je la plaignais d’être obligée, pour une fois par mois qu’elle vient à la maison, de passer sa journée enfermée tristement avec moi. À présent je n’ai plus la même raison d’être grognon. Je ne suis que triste, ce que je ne peux pas m’empêcher d’être quand tu n’y es pas, c’est-à-dire presque toujours, car je t’aime trop [et  ? ou  ? oui  ?] bien trop. Si je pouvais me corriger pour te plaire, vilain !

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 115-116
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

Notes

[1C’est, à un mot près, l’incipit du poème « Puisque mai tout en fleurs… », écrit le 21 mai 1835 et publié dans Les Chants du Crépuscule.

[2La lecture de ce passage est conjecturale. On lit assez nettement « sandelles » pour « chandelles », selon une déformation phonétique attestée. « Sien » (dont la lecture, en revanche, est très douteuse) serait alors la déformation équivalente de « chien ». L’allusion peut s’éclairer, en contexte (Juliette réclame une visite d’amour), des connotations coquines associées à la chandelle morte ou allumée dans « Au clair de la lune ».

[3Sorte de visière pour garantir la vue de l’impression du jour et de la lumière.

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