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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 mars 1845

10 mars 1845, lundi matin, 11 h.

Bonjour, mon petit bien-aimé, bonjour, mon Toto adoré, comment vas-tu ce matin ? Ta pauvre gorge est-elle un peu moins enflammée ? Je viens de te faire de l’eau de miel tout à l’heure. Peut-être faudrait-il suspendre ce remède quelques jours pour lui redonner plus d’action ? Ou, si ton mal a augmenté aujourd’hui, faire un vrai gargarisme de feuilles de ronces et de miel rosata ? Je te donne cette consultation à vue de pays mais surtout dans le désir de te soulager quitte à encourir toute la sévérité des lois de mon pays et tout le ridicule attaché à ceux qui exercent la médecine illégale. Je suis prête à tout pourvu que tu ne souffres pas.
J’essaie de rire, mon Toto, cependant je suis triste, triste, triste. Le serrurier vient d’apporter son mémoire qui se monte à 171 francs  ! Te dire l’effet que ce chiffre m’a fait, c’est impossible. J’étais en train de déjeuner. Cela m’a arrêtée net et depuis ce temps, j’ai un affreux étouffement. Je trouve que ce mémoire surpasse en exagération tous les autres. J’en suis épouvantée. Il faut absolument avoir recours au contrôle d’un architecte. Le fils de Jourdain est élève architecte. Si tu veux, je pourrai demander à Jourdain de m’envoyer le maître de son fils. Je ne vois pas Mme Triger et d’un autre côté, il ne faut pas que ces choses-là traînentb avec longueur. J’ai hâte de savoir au juste à quoi nous en tenir sur ces horribles mémoires. Je t’attends, mon Toto, pour prendre tes conseils et surtout pour t’aimer et pour te baiser de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 171-172
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « miel rosa ».
b) « traîne ».


10 mars 1845, lundi après-midi, 2 h.a

Je n’avais pas attendu ton ordre, mon adoré, pour te gribouiller quatre pages de tendresses et de doléances ce matin. Je suis un peu comme les ivrognes qui promettent de ne plus boire et qui n’en boivent que davantage [1]. Plus je promets de régler mes démonstrations et de contenir mon amour et plus elles me débordent, et plus il s’échappe de mon cœur. Cependant, mon bien-aimé, je t’avouerai que ta recommandation si douce et si tendre m’a transportée de joie. Elle a enlevé tout ce qu’il y avait de tristesse et d’amertume au fond de mon cœur. Elle m’a redonné de la confiance et du courage pour un bon bout de temps. Je fais plus que t’en remercier, mon adoré, je t’en bénis et je prie le bon Dieu pour tout ce que tu aimes. Je suis heureuse, je t’aime et mon amour ne t’est pas indifférent. Je suis heureuse, oh ! oui, bien heureuse. Je ne sais pas quand je te verrai mais j’ai dans tes douces paroles et dans l’adorable ligne que tu as écrite sur ton discours [2] de la patience et du courage pour jusqu’à ce soir.
Je viens d’écrire à Mme Triger et à Jourdain. J’ai hâte de savoir au juste à quoi m’en tenir sur ces mémoires monstrueux. Il me faudra bien du temps et bien de la raison pour diminuer par l’économie l’énorme dépense que nous venons de faire dans ce déménagement. Je ne me découragerai pas, cependant, je te le promets. En attendant, je t’offre tout ce que j’ai pour faire de l’argent. Tu me combleras de joie en l’acceptant. Je baise tes yeux, ta bouche, tes mains, tes pieds, mon adoré. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 173-174
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) Les quatre pages de la lettre ont été numérotées d’une main différente de celle de Juliette.

Notes

[1Dans une lettre du 9 mars, Juliette écrit qu’elle va arrêter temporairement d’écrire ses restitus à Victor : « Aussi je crois qu’il serait bon dans l’intérêt de mon amour, de supprimer pendant quelque temps ces gribouillis quotidiens. » Mais dès le lendemain, elle reprend son rituel.

[2Juliette Drouet évoque-t-elle le discours de Victor Hugo qu’il a prononcé le 27 février à l’Académie française pour la réception de Sainte-Beuve ?

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