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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Paris, 11 avril [18]72, jeudi matin, 7 h.

Permettez, mon grand bien-aimé, que je vous envoie mes soixante-six ans tout frais éclos ce matin. Faites leur bon accueil à ces bons vieux tout flambants d’amour pour vous comme s’ils étaient nés d’hier seulement. Je charge Petite Jeanne de vous embrasser pour moi soixante-six millions de fois aujourd’hui, pas un baiser de moins et quelques uns de plus. J’espère que Petit Georges n’a plus saigné du nez depuis hier et qu’il a eu, comme vous tous, une très bonne nuit. Quant à moi j’ai dormi comme un noir et je me porte de charme ce matin. Je me sens une verve de jeunesse qui tient probablement aux soixante-six printemps que j’ai absorbés résolument et sans faire la petite bouche. Le ciel lui-même se mêle [1] de la partie en versant sur eux le dessus de son panier de soleil. Donc, vive l’amour, pour nous d’abord, car un peu d’égoïsme ne gâte pas le bonheur, celui-là surtout, et vive l’amour pour tous ceux que nous aimons. Sois béni, mon grand bien-aimé, dans tous ceux que tu aimes. Je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16393, f. 97
Transcription de Guy Rosa


Paris, 11 avril [18]72, jeudi soir, 4 h. ½

Merci, mon cher bien-aimé, de ta bonne petite lettre. Je consens à vieillir d’un an par jour à ce prix-là. J’aurais si peu de chose à faire pour cela que peut-être trouves-tu que c’est beaucoup trop payé, mais je ne saurais en rabattre d’une syllabe. En attendant que tu examines sérieusement le marché que je te propose, je continue de t’aimer sans compter et à cœur que veux-tu ? Louis [2] et sa femme sont venus tout à l’heure m’apporter un beau gros bouquet, sachant que c’était aujourd’hui mon soixante-sixième anniversaire, c’est-à-dire ma fête selon la coutume protestante. Je voulais les retenir tous les deux à dîner ce soir, mais il n’y a pas eu moyen de garder la petite femme qui craignait de laisser ses petits enfants toute la soirée à une bonne peu sûre. Louis seul viendra ce soir dîner avec nous. Je ne pense pas qu’il vienne d’autres personnes à moins que tu n’aies invité quelqu’un depuis hier. Mon cher adoré, tu m’as comblée avec ton cher petit mot ce matin. En les lisant, il me semblait que je renouvelais avec la vie un bail d’autant d’années qu’il y a de lignes : en tout dix [3]. JE LES VIVRAI !b et s’il s’y en ajoute encore quelques autres je les consacrerai pieusement à t’adorer jusqu’à vitam eternam. C’est dit.

BnF, Mss, NAF 16393, f. 98
Transcription de Guy Rosa

Notes

[1Juliette contamine les deux expressions : « se mêler de » et « se mettre de la partie ».

[2(Jean-)Louis Koch, neveu de Juliette Drouet.

[3« Mon doux ange, il n’y a pas de vieillesse pour la lumière. Tu es mon rayon. Tu es jeune ici comme tu le seras au ciel. Dès à présent je te vois ange. / Je t’aime. » (édition de Jean Gaudon, ouvrage cité, p. 265.)

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