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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 février [1845], mardi matin, 9 h. ½

Bonjour, mon Victor, bonjour, mon bien-aimé, bonjour. Est-ce que ton cœur ne te fait pas de reproche ce matin ? Est-ce que tu ne sens pas qu’il me manque quelque chose ? Aucune de ces douze années d’amour n’est venuea t’avertir que c’était cette nuit que commençait la TREIZIÈME ? À peine as-tu été parti hier que j’y ai songé. J’aurais voulu pouvoir courir après toi pour te le dire et pour te supplier de ne pas laisser passer ce pauvre treizième anniversaire sans amour et sans bonheur. Mais, hélas ! il n’y avait pas moyen. Dire combien je t’ai désiré, combien je t’ai attendu, combien j’ai surveillé le moindre bruit qui aurait pu être toi, serait impossible. Je me suis couchée à onze heuresb quand tout espoir a été perdu, mais je n’ai pas dormi de la nuit. Tu sais combien je suis superstitieuse et combien le nombre treize m’effraie. Cette crainte, avec tous ces tristes pressentiments, est venue s’ajouter au regret et au chagrin de ne t’avoir pas vu, ce qui m’a fait passer une nuit blanche. Pour combler la mesure, j’ai eu un accès de jalousie atroce à propos de ce paquet que tu portais. Il me semblait et il me semble encore impossible que ton tailleur ne se soit pas donné la peine de t’envoyer ton vieux pantalon et tes vieilles bottes, ou que toi-même tu ne l’aies pas envoyer chercher par Étienne, au lieu de traverser tout Paris à six heures du soir avec un paquet hideux sous ton bras ? C’est ce que tu fais quand tu emportes quelque chose de chez moi........ Aussi je me demande d’où sortait ce paquet significatif ? Je suis triste et malade, et j’ai le cœur plein d’affreux pressentiments. Cette TREIZIÈME année commence bien mal, Dieu sait comment elle s’achèvera. Quant à moi, je sais que je souffre et que je t’aime plus que jamais.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 93-94
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
[Pouchain]

a) « n’est venu ».
b) « onze heure ».


18 février [1845], mardi soir, 6 h.

Il est encore temps de fêter ce pauvre anniversaire, sinon pour la date, au moins le jour : MARDI [1]. D’ailleurs, il est toujours temps de s’aimer et d’être amoureux, n’est-ce pas, mon amour ? Maintenant tu as ton passe-partout. Le petit escalier est posé, il s’agit même que tu ne te cognes pas dedans. J’espère que tu viendras tout à l’heure et que je pourrai te prévenir. aVoilà les travaux qui s’achèvent petit à petit. Le menuisier n’a plus qu’à ajuster son morceau de bois. Il donnera sa note tout de suite, ainsi des autres. Je ne sais pas où tu prendras tout cet argent-là. C’est effrayant. Je cherche autour de moi ce que je pourrais faire pour te venir en aide. Si peu que ce soit, ce serait toujours un allègement. Je ne vois que les trois ou quatre brimborions [2] de bijoux que j’ai. Si tu penses que cela puisse se faire, je te supplie, mon adoré, de t’en servir. Ce sera moi que tu soulageras d’un grand poids. Que ne puis-je faire comme toi, travailler. Avec quelle joie et quel amour j’y consacrerais mes jours et mes nuits pour te donner un peu de repos. Malheureusement je ne suis bonne à rien qu’à t’aimer, ce n’est pas d’aujourd’hui que je le sais et je t’en avais prévenu dès le premier jour où je me suis confiée à toi. Tu t’en souviens, n’est-ce pas, mon Victor adoré ? Depuis ce temps-là, je ne suis pas devenue plus habile ni plus industrieuse et je ne sais encore que t’aimer de toute mon âme et de toutes mes forces, ce qui n’est pas d’une grande ressource pour payer des serruriers, des menuisiers, des peintres et des tapissiers. Je le sens plus que je ne puis le dire.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 95-96
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Pouchain]

Notes

[1La date de l’anniversaire de leur amour est la nuit du 16 au 17 février 1833. Juliette et Victor fêtent aussi le mardi-gras, 19 février 1833, où Hugo renonça à un bal d’artistes pour venir passer la nuit avec Juliette.

[2« Babiole, colifichet, petit objet de peu de valeur » (Larousse).

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