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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 janvier [1845], dimanche midi

Je t’écris de mon lit, mon bien-aimé, assez souffrante pour ne savoir pas comment me lever. Cependant je ne voudrais pas rester couchée toute la journée à cause de ma fille que cela n’amusera pas beaucoup. J’étouffe comme si je n’avais pas fait ma digestion et j’ai des douleurs si aiguës dans le dos et dans l’estomac que je ne peux presque pas respirer. Tu vois que je ne suis rien moins que gaillarde ce matin. Décidément, je ne veux plus rien goûter le soir après mon dîner. Je suis sûre que c’est d’avoir mangéa ces trois trognonsb de poires qui me fait mal et qui a paralysé ma digestion. Mais en voilà assez de dit là-dessus.
Jour, Toto, jour, mon cher petit o, comment vas-tu, toi ? Cher bien-aimé, le bon Dieu nous protège puisqu’il te laisse ta santé malgré les travaux effrayants que tu fais depuis un bout de l’année jusqu’à l’autre. Je l’ai remercié à tous les instants de ma vie, car je ne sais pas ce que je deviendrais si je te savais malade, loin de moi. J’espère que cela n’arrivera jamais.
Je voudrais te voir. Il me semble que cela me ferait du bien tout de suite. Tu sais que tu es ma véritable panacée, toi. Dès que je te vois, je ne souffre plus. C’est dommage que je te voie si peu. Ce n’est pas un reproche, au moins, c’est un regret que je ne peux pas m’empêcher d’exprimer parce que je ne peux pas m’empêcher de t’aimer. Il me tarde d’être levée pour voir si ce malaise se dissipera par l’exercice. J’étais restée au lit dans l’espoir que cela s’en irait plus tôt. Mais je crois que cela n’a fait qu’augmenter. Je suis bien patraque ce matin. Je voudrais n’avoir ni à me lever, ni à rester coucher. Je voudrais ne pas être. Non, ce n’est pas cela que je veux dire. Je dis des bêtises et je t’en demande pardon. Je t’aime et je suis très heureuse.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 15-16
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « manger ».
b) « trognon ».


5 janvier [1845], 10 h. ¼ du soir

Cher petit homme adoré, je savais bien que dès que je t’aurais vu, j’irais mieux. C’est justement ce qui m’arrive ce soir. Je me sens tout à fait bien. Je n’ai plus que la courbature de la crise de cette nuit. Et puis demain je n’y penserai plus du tout. C’est dommage que cette pauvre Clairette aita profité de tout cet ennui. En revanche, nous avons tiré les rois avec une galette de dix sous ! C’est à moi à qui est échu le HARICOT ! Humiliation ! Et pour payer cette royauté équivoque, j’ai abandonné ma liste civile composée des cinq sous restant votés pour la galette à mes nombreux sujets. Voilà les orgies échevelées qui ont inauguréb mon règne haricotique. Louis-Philippe et la reine Pomaré [1] n’auraient pas mieux fait les choses. Tu vois, mon Toto, que pour une moribonde, je suis assez joviale. Cependant je voudrais que tu me vinssesc en aide pour le reste de la soirée à cause de cette pauvre enfant qui n’a plus que quelques heures à passer avec nous [2]. D’un autre côté, je sens que tu es pris par tes enfants et par tes amis, sans parler de ton travail. J’espère, mon cher adoré, que tu trouveras pour nous le donner, un bon petit moment de loisir ce soir. Je serai bien heureuse et bien reconnaissante si cela est et je le serai même encore si cela n’est pas, parce que je tiendrai compte de l’intention et parce que je me souviens de tout ton dévouement, de toute ta bonté et de tout ton amour.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 17-18
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « est ».
b) « ont inaugurées ».
c) « tu me vinsse ».

Notes

[1La reine Aimata Pomaré IV est la reine de Tahiti de 1827 à 1877. En 1842, le consul de France réussit à faire accepter à cinq chefs de l’île le protectorat de la France. Mais la reine s’y oppose vivement et refuse que Louis-Philippe mette en place le protectorat.

[2Claire retourne dans sa pension à Saint-Mandé le lundi 6 janvier au matin.

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