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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 décembre [1848], samedi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour et beaucoup de chaleur, par l’onglée qui court ce n’est pas à dédaigner. Je ne me plains pas que tu ailles dans les bureaux [1] puisque je t’accompagne jusqu’à la porte. Mais j’aimerais mieux pas de bureaux du tout et que tu restes avec moi au coin de mon feu au lieu d’aller dire des bêtises avec tous ces hideux représentants. Voilà mon opinion politique, je profite de la liberté de la presse pour l’exprimer en toute lettre [2]. Maintenant que vous êtes TREMPÉ et retremperas-tu ? Est-ce que vous ne me ferez pas l’honneur de retremper mon amour dans un peu de bonheur ? Je vous assure qu’il en a pourtant diantrement besoin. On a beau être une pauvre vieille Juju on n’en aa pas moins un cœur et le reste. Pensez-y, mon amour, et donnez-moi, à portier égal, la préférence sur le no 17 de la rue Neuve Bréda. AUTANT MOI QU’UNE AUTRE. En attendant je repasse mon grand couteau et je VEILLE. Vous savez que je n’ai pas renoncé à mon état de copiste et je retiens tout votre ouvrage quand vous en aurez à faire [3]. C’est là-dessus que je compte pour me rattraperb de mes quarante-huit sous d’ancien car vous avez plus d’un arrivage en souffrance avec moi. Dieu sait quand et comment vous vous libèrerez.

Juliette

MVH, 8134
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux

a) « n’a ».
b) « rattrapper ».


23 décembre [1848], samedi après-midi, 1 h.

Mains froides chaudes amours [4], dit le proverbe, qui cette fois n’aura pas menti car j’ai l’onglée aux mains et le Vésuve dans le cœur. Je gèle au-dehors comme les pauvres choux frisés oubliés dans le champ que je vois de ma fenêtre et je brûle au-dedans comme le beau soleil qui brille dans le ciel dans ce moment-ci. De tout quoi il résulte que je souffle dans mes doigts et que je vous adore, deux sensations qui se contredisent mais qu’il faut supporter puisqu’on ne peut pas faire autrement. Voime, voime taisez-vous et couvrez-moi de fourrure partout et ailleurs. Avec tout cela je suis sous les armes, c’est-à-dire que je n’ai plus que mon uniforme à mettre, et pourtant vous n’êtes pas sûr d’aller dans les bureaux absurdes [5] ? Voilà le très ennuyeux de mon affaire, c’est d’attendre habillée des heures et des demi-journéesa, sans certitude. Après cela, mon adoré, pourvu que je te voie, je suis suffisamment dédommagée. Il n’y a que lorsque je ne te vois pas que je suis la plus malheureuse des femmes. Autrement je n’en suis que la plus grognon et la plus amoureuse.

Juliette

MVH, 8133
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux

a) « demie journées ».

Notes

[1Les bureaux de l’Assemblée.

[2Lorsque l’état de siège est déclaré en juin 1848, une des premières mesures du général Cavaignac est de restreindre les libertés élémentaires rétablies par la République, dont la liberté de la presse. La caution financière rétablie, de nombreuses feuilles issues de février 1848 disparaissent. Hostile au général Cavaignac, Victor Hugo intervient deux fois à l’Assemblée sur l’état de siège et la liberté de la presse, le 2 septembre et le 11 octobre. L’état de siège est levé le 19 octobre 1848.

[3Principale copiste de l’œuvre de Victor Hugo, Juliette Drouet voit l’activité littéraire du poète diminuer au profit de son engagement politique.

[4Ce proverbe signifie que « les gens qui ont les mains froides sont très portés aux plaisirs amoureux ». (GDU)

[5Les bureaux de l’Assemblée.

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