Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1848 > Septembre > 13

13 septembre [1848], mercredi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, mon ineffable bien-aimé, bonjour. Je baise tes pieds en signe de respect et d’adoration, bonjour, avec des baisers et avec de l’amour. Bonjour et beau jour partout où tu es et pour tous ceux que tu aimes. Je vous aime tous et mon Charlot [1] en particulier. J’en suis fâchée pour vos idées de générosité et de dédaigneuse mansuétude, mais j’aime à voir ce jeune bouledogue faire son métier en conscience. Je suis allée hier chez Mme Castanet avec Suzanne portant la caisse précieuse. J’ai trouvé la pauvre femme occupée à soigner son petit garçon qui était revenu de l’école très malade. Je ne sais pas si ça sera sérieux, mais la malheureuse femme était déjà au champ. Il est vrai qu’il est bien chétif et que M. Triger redoute pour lui tous les accidents de l’enfance, et particulièrement l’époque des dents de sept ans dans laquelle il est entré. J’espère pourtant que le bon Dieu aura pitié d’elle et lui épargnera cet affreux chagrin avant de mourir. Tu penses que je n’ai pas parlé du motif de ma visite bien qu’elle en fût prévenue quelques jours auparavant. Je me suis en allée presque tout de suite pour ne pas la gêner, et puis je suis rentrée chez moi après avoir fait une station chez la mère Antoine. Mais je te raconterai cela au prochain n°. Maintenant je te baise plus que je n’ai de place et je t’aime à [illis.].

Juliette

Leeds, BC MS 19c, Drouet/1848/79
Transcription de Joëlle Roubine


13 septembre [1848], mercredi matin

Je te disais donc ce matin que je m’étais arrêtée chez la Penaillon. Bien m’en a prisa car mon affreux fabricant de lits n’est pas venu me rendre la réponse pour le fameux lit, et la mère Antoine me dira samedi prochain si elle en connaît à vendre bon marché. Mais voilà bien autre chose ma foi, et dont tu serais bien représentant du peuple de ne pas profiter. C’est toutb une tenture de damas bleu de ciel avec 4 rideaux de fenêtre de 3 trois [sic] aunes de haut plus la garniture du lit, en tout cent, ou cent dix mètres à [370 s.  ?] le mètre, grande, très grande largeur, un tiers plus que celui que j’ai, la doublure des rideaux en quinze-seize, très fraîche [illis.] ainsi que la crête de la tenture haut et bas, les embrasses des fenêtres et du lit, les crépines des rideaux, les anneaux travaillés et dorés par-dessus le marché. C’est-à-dire une occasion admirable et pour l’emploi de laquelle tu n’aurais pas un sou à débourser, le tout étant très frais, le damas à grande fleur superbe. Si j’avais de l’argent, je l’achèteraisc pour toi. Elle a voulu que je t’en porte un morceau d’échantillon plus un rideau entier que tu verras dimanche. Voilà, mon cher adoré, la truffe que mon nez a déterrée pour vous et sans la moindre pensée de gain et d’intérêt personnel. Maintenant, baisez-moi et tâchez d’acheter cette belle tenture et aimez-moi et je serai la plus heureuse des Juju.

Leeds, BC MS 19c, Drouet/1848/80
Transcription de Joëlle Roubine

a) « appris ».
b) « toute ».
c) « achèterai ».


13 septembre [1848], mercredi soir, 8 h.

Je ne suis décidément pas très enchantée de la fameuse partie de demain car je prévois qu’elle me fera perdre le moment où j’aurais pu aller te conduire à l’Académie. Cette pensée me déconfiture au point de désirer que quelque chien bien avisé vienne se jeter à la traverse de ce beau projet et ne le flanque par terre. Cet incident me rendrait un véritable service dans l’état où est mon esprit et mon cœur dans ce moment-ci. J’ai un besoin de te voir qui ne peut pas s’exprimer dans aucune langue possible. Aussi tout ce qui peut m’enlever une seconde de toi m’exaspère et m’est odieux. Si j’avais pensé ce matin, au moment où le père Cacheux me faisait sa proposition, que c’était pour jeudi, j’aurais refusé tout net avec joie très sincèrement. Je suis horriblement vexée que cela soit pour demain. Je te vois trop peu pour que la perte d’un quart d’heure du bonheur d’être avec toi ne soit pas un grand malheur pour moi. Malheureusement je n’y ai songé qu’en omnibus et il n’était plus temps de reprendre mon consentement. J’espère qu’il arrivera quelque bonnea anicroche bien avisée qui me rendra ma liberté juste pour le moment où j’en ai besoin, c’est-à-dire du trajet de l’Assemblée à l’Institut. En attendant, je te baise, je t’aime et je te regrette, je te désire et je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16366, f. 305-306
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « bon ».

Notes

[1Charles Hugo, second fils de Victor Hugo.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne