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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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29 août [1848], mardi matin, 8 h.

Bonjour mon Toto bien aimé, bonjour mon amour, bonjour. Je t’aime malgré tous les affreux tours que tu m’as faitsa cette nuit. Il est impossible d’être plus trahie et plus malheureuse que je l’étais cette nuit. Heureusement que le jour est venu mettre fin à cet affreux supplice. Il est vrai que je ne gagnerai pas beaucoup au change et quand je varierais seulement mes tourments et ma jalousie. Hier en te quittant j’avais si soif que j’ai bu au coin du pont un verre de coco à la face du ciel, des bonshommes de plâtre et des représentants de carton qui se trouvaient là et j’en ai régalé Suzanne. Dites donc, vous me devez un sou. Tâchez de me leb rendre. Je ne sais pas trop comment je ferai pour aller le chercher car mon pied est plus malade que jamais [1]. Ce matin j’ai passé une heure à le panser et à le dorloterc mais je ne sais pas encore si je pourrai mettre une chaussure quelconque. Du reste je suis décidée à vous aller voir nu-piedsd plutôt que pas du tout. Il ne sera pas dit que le cœur et la tête auront eu le dessous dans la lutte avec un simple pied. C’est une idée que j’ai comme cela. Taisez-vous et rendez-moi mon sou, ça vaudra mieux. Baisez-moi, gardez-moi et aimez-moi et je vous pardonne.

Juliette

BnF, Mss NAF 16366, f. 301-302
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « les affreux tours que tu m’as fait ».
b) « les ».
c) « dorlotter ».
d) « nus-pieds ».


29 août [1848], mardi matin, 11 h.

Je vais te voir bientôt, mon amour. Cette pensée me rend la plus heureuse des femmes. Je ne veux même pas songer qu’il faudra que je revienne presque aussitôt t’avoir vu. Je veux m’abuser le plus longtemps possible. Pour cela il faut que je ne pense qu’au bonheur de te voir tout à l’heure. J’ai fait un marché avec la penaillon de la rue de Paradis. Je crois que c’est une bonne affaire. J’ai vendu mon piano 35 francs,
la commode ……………………… 25 francs
un matelas et une couchette de Claire 25 francs
une chaise de pianoa 5 francs
Total…………………………. 90 francs
Somme que je n’aurais jamais pu réaliser sans cette circonstance car je l’avais déjà proposé à la penaillon de la rue [illis.] qui n’en avait pas voulu et à un marchand de la rue Saint-Louis qui n’en avait pas voulu non plus. De tout cela il résulte que j’ai un BURGOS [2] pour RIEN, c’est-à-dire pour dix francs car je redois 10 francs que je me suis réservé de donner QUAND je pourrai. Je ne suis pas folle, tant s’en faut, de ce genre de meuble mais celui-là est très grand et assez bien conservé et lorsque Suzanne y aura passé quelques demi-journées dessus, il ne sera pas à dédaigner et il me rendra de fameux services. Du reste je te le répète, c’est une vraie BONNE OCCASION. La penaillon déménage et se met en chambre, la République lui ayant donné congé de la boutique et de ses pratiques et puis les curiosités ayant un SORT qui fait que personne n’en veut. De tout quoi, je profite avec votre permission. Baisez-moi, taisez-vous ou criez vive la République démocratique et sociale. Je vous le permets.

Juliette

BnF, Mss NAF 16366, f. 303-304
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Juliette Drouet souffre d’un cor au pied depuis le 17 août.

[2« Le burgos est habituellement un lustre métallique, mais le mot semble désigner ici le meuble dans lequel Juliette range ses plats. La porcelaine dite « japonnée » subissait une cuisson supplémentaire pour avoir l’apparence de la porcelaine fine du Japon. » (Evelyn Blewer, ouvrage cité, p. 130.)

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