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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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30 avril 1846

30 avril [1846], jeudi matin, 8 h. ¾

Bonjour mon aimé, bonjour mon plus qu’aimé, bonjour mon adoré petit Toto, bonjour de la pensée, de l’âme et du cœur. Je suis consternée ce matin. Cette pauvre enfant a passé une nuit blanche. La toux a repris avec la même intensité. Je suis tout à fait démoralisée, car je vois que depuis cinq semaines elle est toujours dans le même état, c’est-à-dire pire puisque les forces s’en vont de plus en plus [1]. Je suis furieuse contre ce stupide Triger, s’il était venu hier, il aurait pris jour avec moi pour une consultation qui devient de plus en plus urgente et puis il aurait peut-être avisé au moyen de lui faire passer une bonne nuit. Pourvu qu’il vienne ce matin encore.
Tu vois mon cher bien-aimé, que je ne suis rien moins que gaie. Hier à cette heure-ci, il me semblait que cette pauvre enfant était sauvée, aujourd’hui je suis plus inquiète que jamais. Quel supplice que d’être sans cesse ballotée entre la crainte la plus horrible et l’espoir le plus doux. Quand je pense que tu as souffert ce supplice huit mois, je n’ai pas assez d’action de grâces à rendre au bon Dieu pour avoir terminé tous ces affreux tourments par une miraculeuse guérison [2]. Hélas ! en fera t-il autant pour moi et combien de temps ai-je encore à supporter ces atroces alternatives de mieux et de pire ? Car l’inquiétude est doublée de tout l’espoir qu’on avait conçu auparavant. Ainsi je suis plus malheureuse aujourd’hui de toute la joie que j’avais hier quand je croyais qu’elle allait mieux. Je ne suis pas généreuse, mon adoré, je te fais partager mes inquiétudes et mes ennuis sans égard pour la fatigue que te donnenta ton travail et tes affaires. Je t’en demande pardon, mais il me semble que je ne suis pas soulagée d’un grand poids quand je t’ai dit mon chagrin.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 427-428
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

a) « donne ».


30 avril [1846], jeudi soir, 9 h. ½

Je viens me reposer auprès de toi, mon doux bien-aimé, des fatigues et des inquiétudes de cette journée. Je suis lasse de corps et d’esprit, il faut que je reprenne des forces et du courage dans mon cœur.
J’en étais là, mon adoré, lorsque le domestique de M. Pradier est venu savoir des nouvelles de ma fille [3]. Pendant que je lui parlais dans le vestibule, cette pauvre enfant poussait des gémissements qui me fendaient l’âme. Elle souffre horriblement et je prévois une affreuse nuit. J’ai envie de ne pas me coucher, je veillerais auprès d’elle ou tout au moins auprès de mon feu. Je suis si tourmentée d’ailleurs que je ne pourrai pas dormir. J’ai dit au domestique de prévenir M. Pradier que, si demain le vésicatoire n’a pas produit le bon effet que le médecin en attend, je lui demanderai de m’envoyer un ou deux des médecins qu’il m’a indiqués. Il faut enfin que je sache à quoi m’en tenir sur cette pauvre et chère enfant. Je me reproche même d’avoir tant tardé. Je suis triste, mon Victor adoré, je suis malade dans l’âme. Je me tourne vers toi pour y chercher des consolations et du courage. Ta douce pensée me ranime et me redonne de la confiance et de l’espoir. Il me semble impossible que le malheur m’atteigne tant que tu m’aimeras. N’est-ce pas que j’ai raison de penser cela ? N’est-ce pas que tu m’aimeras toujours, moi je t’aimerai même au-delà de cette vie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 429-430
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

Notes

[1 Claire mourra de la tuberculose en juin. Les premiers symptômes se sont déclarés fin mars.

[2Charles, fils de Victor Hugo, avait été veillé et soigné par son père, et avait réchappé du choléra en 1832.

[3 Claire souffre de la tuberculose qui l’emportera en juin. Juliette Drouet ignore la gravité exacte du mal.

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