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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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25 avril [1846], samedi soir, 10 h. 

Je n’ai pas pu t’écrire jusqu’à présent, mon bien-aimé, et Dieu sait cependant si je me suis amusée. Il est temps, bien temps et plus que temps que ma fille se guérisse [1], que Mme Luthereau s’en aille, que ma pauvre tête se repose et que mon cœur reprenne ses fonctions sans interruption ou plutôt sans intervention de tourments et d’angoisses de toute sorte. Tantôt je venais de coucher ma fille et ne la trouvant pas mieux, je me laissais aller au découragement quand est arrivé le père Triger qui après l’avoir auscultéea de nouveau a déclaré qu’elle allait mieux. Il m’a dit, à moi en particulier, que l’air commençait à circuler dans le poumon gauche et qu’elle en serait quitte pour un gros rhume. Cette nouvelle si ardemment et si péniblement attendue m’a remis du cœur au ventre et maintenant il me semble que la calotte de plomb que j’ai sur la cervelle se soulève un peu et que je commence à penser. Tu sais ce que c’est, puisque tu es passé par là et bien plus que moi encore [2]. Aussi je ne m’excuse pas auprès de toi de la maussaderie et de la morosité avec laquelle je t’accueillais quelquefois, quoique au fond de mon âme j’étais heureuse de te voir et que tout mon cœur se tournait vers toi comme vers le bon Dieu. Maintenant que je sais ma fille hors de danger, je pourrai me livrer sans contrainte à la joie de te voir, je pourrai te sourire, je pourrai te dire s’il a crié quand il m’a mordu [3], je pourrai lire les journaux et retirer mes trois ans de ficelle ou mes 1095 brasses de cordeau. [dessin]b.
Je conviens que ce dessin est un peu lâché mais cela tient à la fatigue de la journée. Une autre fois je ferai mieux. En attendant, je vous donne celui-ci pour vous faire prendre patience. Voime, voime, baisez-moi scélérat et aimez-moi tout de suite je le veux. Baisez-moi encore, entendez-vous et pour de VRAI.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 409-410
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

a) « oscultée ».
b) Dessin :

© Bibliothèque Nationale de France

Notes

[1La tuberculose de Claire, dont les premiers symptômes sont apparus fin mars, et qui l’emportera en juin, n’a pas encore été diagnostiquée.

[2Hugo a veillé et soigné son fils Charles atteint du choléra en 1832. En 1843, il a perdu sa fille Léopoldine.

[3Citation à identifier.

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