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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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7 juillet [1848], vendredi matin, 7 h.

Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour. Je t’aime, et vous ? Je suis déjà en quête de savoir si tu pourras venir aujourd’hui. Je voudrais que tu puisses venir déjeuner ce matin, mais je n’ose pas l’espérer. Si tu viens, ce sera tout à la fois le jour d’une surprise et le bonheur d’un désir satisfait. Si tu ne pouvais pas venir de la journée, je ne sais pas ce que je deviendrais car je n’ai rien à mettre à la place de ce bonheur-là. Aussi c’est presque avec terreur que j’entrevois la possibilité que tu ne viennes pas. C’est pour cela encore que j’insiste tant pour aller te rejoindre le plus tôt possible. Mais, hélas, outre la difficulté de sous-louer mon appartement, il y a celle, non moins grande, de trouver un logis qui puisse me contenir, moi et mes haillons. Il serait peut-être d’une fâcheuse économie de vendre le peu que je possède pour une gêne après tout momentanée et qui ne peut pas durer plus longtemps que la crise qui l’a fait naître, tout cela pour économiser une centaine ou cent cinquantaine de francs dans une année. D’ailleurs, je ne trouverais même pas à vendre, et mes panneaux et tout ce qui s’en suit, seront perdus car il faut qu’ils soient tendus, que mon lit soit monté, que mes armoires soient dressées sous peine de tout abîmera et de tout perdre. Je ne te parle pas encore de mon isolement et de ma vie enfermée et de la nécessité pour moi de me sentir auprès de toi et de recueillir parcimonieusement toutes les minutes dont tu peux disposer dans ta vie si occupée. Toutes ces choses pour une centaine de francs plus ou de moins méritent que tu y penses sérieusement. En attendant, je me résigne d’avance à tout ce que tu voudras. Je t’adore.

Juliette

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Transcription de Gérard Pouchain
[Barnett et Pouchain]


a) « abîmé ».


7 juillet [1848], vendredi matin, 10 h.

Il m’est impossible de songer à quoi que ce soit qui ne soit pas toi, mon cher bien-aimé. Je me demande avec anxiété dans le cas où tu ne pourrais pas venir aujourd’hui, ce que je ferais de ma journée de dimanche ? Tu n’as pas pu me dire hier où je pourrais aller te chercher dans le cas où tu ne pourrais pas venir aujourd’hui. Je suis vraiment très tourmentée. D’ailleurs je ne comprends pas que je me résigne à vivre si loin de toi. Je n’aurais pas dû y consentir, et au prix de tous les sacrifices je devrais me rapprocher de toi, car, outre le supplice d’être séparée de toi, il y a pour moi le danger que tu ne te déshabitues de la douce routine d’aller et venir dans ma maison. Quand tu m’aimais à fer et à clous [1], tu n’aurais jamais accepté la pensée de me savoir si loin de toi. Aujourd’hui tu subis cette nécessité sans t’apercevoira qu’elle compromet toute une vie d’amour et de dévouement mutuel et que tu fais peser sur moi seule le poids d’une calamité générale. D’ailleurs, mon bien-aimé, à moins de tout vendre et de remplacer par un bois de lit et quatre chaises tout ce que j’ai, il est impossible que j’habite dans ton quartier à moins de six cents francs, au cinquième, sur le derrière. Tu sais que ce n’est pas du luxe. Je t’ai déjà écrit cela ce matin et je me répète sans m’en apercevoir tant l’idée de me rapprocher de toi est devenue un besoin impérieux. Je sais que je t’ennuie et je me retiens pour ne pas te fatiguer de trop d’amour. Seulement, tâche de venir bien vite car j’ai plus besoin que jamais de ta douce présence.

Juliette

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Transcription de Gérard Pouchain
[Barnett et Pouchain]

a) « appercevoir ».

Notes

[1« Cela ne tient ni à fer ni à clou, se dit d’une chose qui sert à meubler, mais qui n’est point scellée dans la muraille ; au sens figuré, cela ne tient ni à fer ni à clou, se dit d’un travail sans solidité, d’une affaire qui n’est pas sérieusement conclue. » (Émile Littré, Dictionnaire de la langue française.)

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