9 juin [1848], vendredi matin, 8 h.
Bonjour, mon bien-aimé, toujours plus aimé, bonjour. Hélas ! Te voilà représentant à mon cœur défendant car je n’entrevois pour toi que luttes, déceptions et dangers [1]. Enfin les élections et le bon Dieu l’ont voulu, il n’y a pas moyen de s’en dédire mais il m’est bien permis de ne pas être bien contente de cette élection peu désirée et peu désirable.
Cher bien-aimé, mon cœur se fond d’amour, de reconnaissance et d’admiration quand je pense à l’homme que tu es et à tout le bien que tu fais. Je n’ai pas assez de mon âme pour t’adorer et je suis obligée de mettre dans les mots les plus insignifiants le trop plein de mon cœur. Je t’aime de source vive et que la mort même ne pourra pas tarir. S’il est vrai que l’âme est immortelle comme je le crois et comme j’en suis sûre quand je regarde la tienne mon Victor adoré, mon bonheur, ma vie, sois prudent, ne hasarde pas ta précieuse vie dans des luttes inégales et insensées. Conserve-toi pour le triomphe de tes idées qui ne peuvent manquer de prévaloir pour le bien de tous. Conserve-toi pour tous ceux qui t’aiment et surtout pour moi, ta pauvre Juju qui ne vit que par toi et pour toi.
BnF, Mss, NAF 16366, f. 233-234
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette
9 juin [1848], vendredi midi
Si tu pouvais venir de bonne heure, mon cher petit homme, tu me rendrais bien heureuse, mais ce n’est guère probable et je n’ose pas l’espérer. Cependant si tu ne mets pas à profit cette dernière journée de presque liberté [2], Dieu sait quand tu pourras me donner un moment maintenant que te voilà officiellement aux affaires, et quelles affaires ! Plus j’y pense et moins je suis contente de ta nomination quoique je doive en extraire dans l’avenir une culotte et de l’eau claire. Mais j’aurais mieux aimé me passer encore de ce fringant vêtement et continuer à boire des crapauds, [illis.], et des grenouilles de tous les genres, que de te voir siéger au milieu de cette ménagerie variée. Tous mes regrets n’y peuvent rien, il faut que je tâche d’en prendre mon parti et de trouver le côté le moins mauvais et le moins désagréable de la chose, s’il y en a un, ce dont je doute très fort. En attendant je fais de mon mieux pour prendre patience. Je repasse dans ma pensée tout ce que tu as fait pour cette pauvre femme Castanet [3]. Je compare aux autres hommes et je t’aime et je te vénère et je t’admire et je t’adore autant que je les trouve ridicules, méchantes, méprisables, et haïssables pour la pluparta.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16366, f. 235-236
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette
a) « la plus part ».