Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1846 > Mars > 26

26 mars 1846

26 mars [1846], jeudi matin, 9 h. ¾

Bonjour mon petit Toto, bonjour mon cher amour bien aimé, bonjour mon adoré petit Toto. Comment vas-tu ce matin ? À quelle heure es-tu rentré cette nuit ? As-tu fait beaucoup de visites et vu beaucoup de jolies femmes ? Je voudrais le savoir pour bien des raisons que tu devines de reste. Je me suis couchée après t’avoir écrit une petite lettre d’amour et de compte-rendu de ma soirée et de mon voyage puis j’ai lu l’article Nicolas [1] et j’ai éteint ma bougie après. Je n’avais pas l’espoir de te voir et cependant je me suis réveillée plusieurs fois pour voir l’heure à ma pendule. Enfin à 2 h. ½ du matin j’ai voulu m’endormir pour de bon et je ne suis parvenue qu’à faire les plus hideux rêves possibles. Ce matin j’ai un mal de tête fou qui ne se dissipera qu’avec de l’exercice, je pense. Si le temps se maintient au beau toute la journée je pourrai aller voir ma fille, avec ta permission bien entendu. C’est aujourd’hui la réception de M. Vitet [2], je crois ? Il est probable que tu iras. J’attends que tu viennes pour en être sûre. Il est vrai que, de quelque façon que ce soit, je ne t’en verrai pas une minute plus tôt ni une minute de plus mais enfin je veux savoir. Je t’aime toi et vous ? Ne mentez pas.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 309-310
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette


26 mars [1846], jeudi après-midi, 3 h. ¾

Vous voyez que vous êtes un vieux scélérat, mon Toto, puisque vous êtes allé à cette réception sans être venu seulement m’embrasser. Comment voulez-vous que je me fasse illusion après cela et que je croie que vous m’aimez ? Cela n’est guère possible avec la meilleure volonté du monde et la confiance la plus pommée [3]. Aussi je suis très triste et très découragée dans ce moment-ci et je jetterais bien volontiers le manche après la cognée. Je ne sais plus maintenant quand je vous verrai. Du train dont vous y allez, il n’y a pas de raison pour que ce soit jamais. Je me retiens pour ne pas vous dire des gros mots et pour ne pas être la plus méchante des Juju.
J’ai écrit tantôt à Mme Luthereau dans le sens que tu m’avais dit. J’ai retrouvé mon mouchoir que je croyais perdu et que j’avais laissé chez Mme Sauvegeot. Depuis ce matin je brosse et je range mes affaires. Tout à l’heure je vais faire du repassage. J’emploie mon temps de bric et de broca mais cela ne comble pas le vide que votre absence fait dans ma vie. J’ai beau aller et venir dans ma maison, ma pensée et mon cœur restent fixés sur ces trois mots, que je pourrais aussi bien appelerb mes trois maux : QUAND VIENDRA-T-IL ? Je ne sais pas ce que l’avenir te réserve, mon bien-aimé, mais Dieu te garde à tout jamais du supplice d’attendre la femme que tu aimeras. Quant à moi je ne connais rien de plus triste et de plus agaçant et puis à travers tout cela je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 311-312
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

a) « brocs ».
b) « appeller ».

Notes

[1Probablement un article sur Nicolas Ier, tsar de Russie.

[2Ludovic Vitet est reçu à l’Académie française sur le fauteuil de Soumet.

[3Pommée : complète.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne