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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 mars 1846

20 mars [1846], vendredi matin, 9 h. ¼

Bonjour mon bien-aimé, bonjour ma vie, mon âme, ma joie, mon tout bonjour. Comment vas-tu ce matin ? Je suis impatiente de le savoir et je le suis aussi de lire ton discours d’hier [1]. Je sais d’avance qu’il ne peut être que beau, généreux, grand et admirable comme tout ce que tu dis. Je suis sûre que le public tout entier sera de mon avis. Je voudrais être plus vieille d’un jour pour voir se confirmer ma pensée tout entière. Je suis indignée contre tous ces vieux gazons [2] politiques. Toi cela ne te fait rien et cela se comprend parfaitement. Mais moi je ne peux pas supporter l’idée qu’on ne t’écoute pas toujours avec la plus vive sympathie et la plus profonde admiration. Je suis furieuse contre ces vieux vieillards et je leur souhaite un redoublement de gravelle, de sciatique et autres catarrhesa du même genre. Mais j’espère que la presse tout entière va leur tomber sur leurs vieux casaquins cacochymes et leur apprendra à ne pas baver dans leurs perruques quand tu prends la peine de leur parler. J’attends Le Moniteur avec une inexprimable impatience, cela ne m’arrive pas souvent de l’attendre ainsi mais quand je m’y mets ce n’est pas pour peu.
Cher petit homme, tu as dû être mouillé hier en t’en allant si tu n’avais pas de parapluie ? J’y ai pensé dès que tu as été parti et je me reprochais d’en être la cause car si tu étais rentré chez toi avec ta voiture tu n’aurais pas eu cet inconvénient. Pauvre être bon, doux et adorable tu as pensé que si je ne te voyais pas je passerais une mauvais nuit et tu t’es dévoué comme toujours. Sois béni, mon Victor, pour cette bonne action et pour toutes les autres. Tu es mon Victor vénéré, admiré et adoré.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 285-286
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

a) « catharres ».


20 mars [1846], vendredi après-midi, 4 h. ½

Je comprends encore moins, maintenant que j’ai lu ton discours, la froideur avec laquellea on l’a accueilli hier à la Chambre. Dans ma petite pensée je crois que c’était un parti pris d’avance et pour ne pas t’admirer deux fois de suite. À la Chambre comme ailleurs, mon cher adoré, tu as tes envieux et là encore autant qu’ailleurs, sinon plus, il y a les infimes, les vulgaires et les crétins. Je te demande pardon d’oser me permettre d’avoir une opinion sur quoi que ce soit mais l’amour sans borne que j’ai pour toi peut bien suppléerb une fois par hasard au manque d’esprit surtout quand il s’agit de générosité et d’humanité. Ce que tu as dit, mon adoré, tous les gens de cœur le comprendront et l’approuveront même malgré le grand style dont tu l’as revêtu selon ton habitude.
Pardon encore une fois cher bien-aimé, je sens que je suis presque ridicule en te parlant ainsi mais l’amour et l’admiration me débordent autant que la colère et l’indignation contre tous ces stupides vieillards. Et il faut bien que je les laisse déborder dans ce flux de paroles qui exprime tant bien que mal que je t’aime, que je te trouve toujours plus grand, plus noble et plus admirable en dépit des goûteux et des goitreux de tous les âges, de tous les pays, et de tous les rangs. Je t’attends avec toutes sortes de tendresses et de caresses dans le cœur, dans les yeux et sur les lèvres. Tâche de venir bien vite mon adoré bien-aimé, tu me combleras de joie et de bonheur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 287-288
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

a) « lequel ».
b) « supléer ».

Notes

[1Dans un discours à la Chambre des Pairs, Hugo a la veille invité le gouvernement à faire une déclaration publique sur la Pologne, a expliqué sa propre sympathie aux Polonais et s’est déclaré en faveur de l’indépendance de la Pologne. Son discours n’a pas été très bien accueilli par les pairs et par le gouvernement.

[2« Gazon se dit quelquefois par plaisanterie, de la perruque d’un chauve, ou des cheveux très rares qui lui restent sur la tête. » (Littré.)

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