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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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6 mars 1846

6 mars [1846], vendredi matin, 9 h. ¾ 

Bonjour mon Toto adoré, bonjour mon bien-aimé, bonjour toi, comment vas-tu ce matin ? Es-tu rentré bien tard ? As-tu pensé à moi ? M’as-tu plainte et regrettéea, viendras-tu bientôt, mon cher amour ? Pour moi je te désire plus que de toutes mes forces et je t’aime de même. Je viens de remettre toutes mes affaires en ordre. Ce n’était pas inutile : je crois que je n’ai jamais été plus crottée de ma vie et cependant j’ai usé de l’omnibus à satiété. Il était nécessaire que j’allasse à la pension pour remonter un peu ma pauvre péronnelle et pour tirer l’affaire en question à clair [1]. Il résulte de ce que m’a dit Mme Marre et ma fille elle-même qu’il n’y a pas eu mauvaise volonté flagrante et constatée par conséquent on serait très mal venu à s’en plaindre. Aussi mon bien-aimé je te supplie de ne pas t’en préoccuper davantage et de pardonner à cette pauvre enfant toute la peine et tous les ennuis qu’elle t’a causés à ce sujet. Le plus simple est qu’elle mûrisse ses études jusqu’au moment où elle sera appelée. Je l’y ai fortement engagée. J’espère qu’elle suivra cet avis. S’il fait beau jeudi prochain j’irai la voir pour la maintenir dans ses bonnes résolutions de travail et d’application. Dans tout cela mon cher bien-aimé il n’y a que toi qui aurais le droit de te plaindre et d’être découragé et cependant c’est toi qui nous consoles et nous soutiens toutes les deux. Tu es un pauvre bien aimé doux et généreux que je baise et que j’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 231-232
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette


6 mars [1846], vendredi soir, 6 h. ¾ 

Tu ne veux pas que je sois triste de ton absence. C’est comme si tu ne voulais pas que je t’aime plus que ma vie, l’un m’est aussi impossible que l’autre. J’ai besoin de te voir pour être heureuse, j’ai besoin de t’aimer pour vivre. Te voilà parti probablement jusqu’à demain. Cette pensée me serre le cœur et me donne mal à la tête. J’ai beau me raisonner, l’effet produit est toujours le même. Je suis triste, mon Victor bien-aimé, mais c’est une manière de t’aimer loin de toi. Je ne voudrais pas être gaie, quand même je le pourrais, parce qu’il me semble que je t’aimerais moins. Si je vais chez Joséphine ce soir, ce qui n’est rien moins que sûr, ce n’est pas pour y chercher du plaisir, chose qu’elle n’a jamais eueª en elle, ni autour d’elle mais pour user les heures pendant lesquelles je ne peux pas t’espérer. J’aimerais mieux si les rues étaient désertes, marcher devant moi au hasard jusqu’à demain. Ne pouvant pas me livrer à cet exercice je le remplace comme je peux au risque de m’ennuyer beaucoup. Si tu reviens tout à l’heure, ce que je n’ose espérer, je serai bien moins malheureuse. Tâche de venir, mon Victor charmant, et tâche encore de revenir cette nuit. Autrefois tu n’y aurais pas manqué : c’est qu’autrefois tu m’aimais comme je t’aimais, comme je t’aime toujours et comme je t’aimerai jusqu’à mon dernier soupir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 233-234
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

a) « eu ».

Notes

[1Claire Pradier a échoué aux épreuves orales de l’examen d’institutrice, le lundi précédent.

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