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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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26 janvier [1846], lundi matin, 10 h. 

Bonjour bien-aimé, bonjour adoré, bonjour toi, bonjour vous, je t’aime, comment que ça va ? J’ai toujours et de plus en plus le besoin d’être très méchante et très jalouse. Est ce que je ne pourrais pas me satisfaire un peu en vous faisant une bonne petite scène sur toutes sortes choses plus venimeuses les unes que les autres ? Consentez-y rien que pour voir comment je m’en tirerai et vous verrez ce que vous verrez. En attendant, je me dévore toute seule et je suis furieuse contre moi. Donc il faut bien que je dépense ma méchanceté contre quelqu’un, AUTANT MOI qu’une AUTE. Baisez moi, cher scélérat, et avouez que j’ai toutes sortes de raisons pour n’être pas contente. Je viens de mettre votre buvard en ordre encore une fois. J’ai remis tous vos papiers dans des chemises neuves. Nous verrons combien de temps cela durera. Cette fois encore j’ai eu la délicatesse de ne pas lire vos gribouillis mais je ne vous promets pas que j’aurais constamment cette héroïque discrétion et qu’il ne m’arrivera pas de licher un peu les bords et de faire des trous avec mon nez dans les endroits les plus friands.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 85-86
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette


26 janvier [1846], lundi après-midi, 4 h. ½

Hier à cette heure-ci je t’avais déjà vu, mon doux bien-aimé, ce qui prouve que pour moi comme pour bien d’autres les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Mais ce n’est pas pour te dire cette banale vérité que je te gribouille cette feuille de papier, cela n’en vaudrait pas la peine. Je crains que ton absence ne soit motivée par la maladie de ton pauvre neveu [1]. Tu sais qu’il faut que je trouve toujours une cause à ton absence et mon esprit choisit plus naturellement la plus triste comme si ce n’était pas assez de ma tristesse personnelle sans y joindre celle que je te suppose. Enfin, mon cher adoré, je ne serais tranquille et heureuse que lorsque je te verrai. Tu ne veux toujours pas me donner à copier, méchant homme, et cependant tu as mis beaucoup de feuilles en ordre l’autre soir. Je soupçonne que Mlle Dédé me coupe l’herbe sous le pied et que vous lui avez donné votre pratique hum ! Si je savais cela, je visiterais mon Eustache [2] avec soin pour voir dans quel état il se trouve. Je ne sais pas jusqu’à quel point les comédiens et les comédiennes ont le droit de se croire propriétaire des rôles qui leurs sont confiés. Mais je sais que vous n’avez pas le droit de donner votre copie à d’autres que moi et je vous le prouverai depuis le petit bout de mon grand couteau jusqu’au manche exclusivement. Voilà comme je suis. Maintenant baisez-moi et tâchez de venir bien vite m’apporter votre charmant petit museau à baiser et à adorer. Je suis très pressée. Je vous en préviens.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 87-88
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Jules Hugo (1835-1863), neveu de Victor Hugo, âgé de onze ans.

[2Petit couteau populaire tout usage, pliant, crée par le coutelier Eustache Dubois en 1782.

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