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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 janvier [1846], mardi matin, 10 h. ½

Bonjour mon aimé, bonjour mon adoré, bonjour mon Toto. Je t’aime et vous ? Je vous écris une grosse lettre tout de suite afin que si je meurs en route je ne me sois pas privée du bonheur de te faire ma petite pension d’amour et d’adoration. Je suis très prévoyante comme tu vois. Cher bien-aimé, j’en suis déjà aux regrets de ma sortie malgré le beau temps et le soleil. Je pense que je t’aurais peut-être vu quelques minutes ce soir avant ton dîner et je ne trouve pas que les heures de distraction que je vais chercher si loin vaillent la chance de te voir une seconde. Enfin, c’est convenu, mais je n’en suis pas plus contente pour cela. Mais toi, mon Toto, tu dois être bien heureux : ton Charlot est arrivé ce matin sain et sauf et par-dessus tout triomphant. Il se repose sur ses lauriers probablement dans ce moment-ci, mais tantôt vous ne perdrez aucun détail de son aventureuse expédition [1]. Je voudrais bien que ce jeune héros ait ouvert le chemin de la gloire, et des diplômes à ma pauvre péronnelle [2]. Cette idée m’importune plus que je ne le laisse voir à elle surtout, que je ne veux pas décourager. Je voudrais pour bien des choses qu’elle eût franchi ce premier pas si difficile. Il me semble, c’est peut-être une idée, que le reste irait tout seul. Il faudra que j’aille la voir jeudi. S’il fait beau, en même temps je ferai ma visite à Mme Marre. Ce me sera une occasion de sortir, ce que je recherche dans ce moment-ci, à cause de mes maux de tête qui sont plus forts que jamais. Ce matin je me suis trouvée encore empoisonnée par la fumée du voisin. Il faut que j’aille voir la propriétaire tantôt pour m’entendre avec elle sur ce hideux phénomène. En attendant, j’ai très mal à la gorge et je suis sûre que cela tient à la fumée seulement. J’aurais voulu lui porter en même temps l’argent du terme. Mais ne l’avant pas, j’irai tout de même parce qu’il faut battre son père  pendant qu’il est chaud et la fumée aussi. Baisez-moi, je ris mais au fond je suis triste comme un chien parce que je pense que je ne vous verrai pas de la journée. Si vous m’aimiez un peu vous viendriez tantôt avant que je ne m’en aille. Mais je n’y compte pas, je sais trop bien quel fond je dois faire sur mes espérances, aussi je ne m’y livre qu’avec la plus grande défiance, trop heureuse si je me suis trompée en désespérant. En attendant ce soir, je t’embrasse des millions de fois de toute mon âme et de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 41-42
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Charles Hugo, le fils de Victor, est parti à Rennes pour passer son baccalauréat, qu’il a obtenu le 9 janvier.

[2C’est ainsi que Juliette surnomme sa fille Claire, qui prépare son examen d’institutrice.

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