Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1843 > Février > 20

20 février [1843], lundi soir 6 h. ¾

Je ne t’ai pas encore écrit, mon adoré, et pas encore vu, ce qui est une double privation pour moi ; en voici du reste la cause, du moins j’en suis sûre pour ce qui me concerne : j’ai eu une migraine tellement violente que j’ai souffert d’une mauvaise digestion toute la nuit. J’ai pris quelque repos dans la matinée assez tard et j’ai eu la mère Lanvin à déjeuner parce qu’elle s’était chargée de reconduire Claire. La pauvre femme a déjeuné seule car il m’aurait été impossible de rien prendre. À une heure j’ai eu Mme Guérard avec laquelle j’ai arrêté mes comptes et à laquelle je reste devoir 460 F., ce qui à raison de 10 F. par mois fera juste quatre ans avant l’entier paiement de ma dette envers elle. Puis est venue M. Lafabrègue qui m’a donné sans hésitation un solde de tout compte jusqu’à ce jour de tout arriéré et de toutes marchandises fournies. Tout cela mon adoré m’a conduit jusqu’à cette heure sans avoir pu t’écrire.
Maintenant, voici ce à quoi j’attribue ton absence : d’une part ton procès, de l’autre ta répétition et enfin les adieux à ton enfant chérie. Voilà ce qui t’a empêché de venir, n’est-ce pas mon adoré ? Je crois que je ne me trompe pas de beaucoup dans mes conjectures. Je ne suis pas aussi sûre de mon fait en espérant que tu viendras ce soir dès que tu seras libre parce que, quelle que soit ma confiance en toi, je ne sais pas assez jusqu’à quel point je te suis nécessaire et combien tu m’aimes. Cette incertitude est une des préoccupations et une des tristesses de ma vie qu’il ne dépend pas de toi que je n’aie pas à cause des mille occupations de ta position. Je le sais, mon Toto, et je me résigne tant bien que mal à cette douloureuse incertitude dans l’espoir qu’un jour viendra où tu m’aimeras tant et où tu me le prouveras tant que le doute ne me sera plus possible. En attendant, je t’aime plus que jamais moi. Voilà comment je me venge.
Je suis encore très souffrante ce soir mais si tu viens, mon Toto, je serai guérie, j’en suis sûre. Tâche donc de venir bien vite et de penser à moi. Je le sentirai d’ici si tu le fais et je serai moins triste et moins abattue que je ne le suis dans ce moment-ci, mon cher Toto bien-aimé.
Je te raconterai encore tous les petits scrupules de conscience que j’ai au sujet de Lafabrègue et tu me diras jusqu’à quel point je dois m’en inquiéter.
M. Pradier a chargé M. Lanvin de te demander une place pour lui pour la première représentation des Burgraves. Tu verras si tu peux la lui donner. Si tu le fais, je t’en serai reconnaissante pour Claire à qui cela ne peut que faire du bien. Aussi Mme Lanvin m’a confirmé ce que m’avait dit Mme Franque du succès de Lucrèce et de la foule qu’il y avait. Elle te remercie, la pauvre femme, du fond du cœur et elle se recommande à toi pour les Burgraves pour n’importe à quelle place.
Voilà, mon pauvre bien-aimé, toutes mes commissions faites. Mais ce qui reste à faire c’est le bonheur de toute ma journée. Justement te voilà. Tout ne sera pas perdu.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 165-166
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne