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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 février [1843], dimanche matin 11 h. ¼

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon cher petit homme chéri. Vous voyez bien que vous n’êtes pas revenu cette nuit. Vous voyez bien que vous êtes un vilain Toto. Vous voyez bien qu’il faut que je me fâche. Taisez-vous.
C’est aujourd’hui que vous allez venir chez Louis-Philippe mais vous auriez dû aller cette nuit au bal de M. L. Pillet ………………. dans mon lit. Vous ne savez rien faire qui ait le sens commun. Taisez-vous encore une fois, vous n’avez pas la parole. Tâchez au moins de n’avoir pas froid et de ne pas vous enrhumer si vous ne voulez pas que je me fâche tout rouge. Baisez-moi en attendant et venez me voir avant d’aller chez votre roi.
Lanvin viendra chercher Claire demain matin. Ça fait que je pourrai la garder à dîner ce soir. Cette pauvre enfant, c’est bien le moins puisqu’on est content d’elle que je me donne cette récompense.
Quant à la descente de lit, je crois que tu as raison et je viens de le lui dire. Comme elle viendra samedi prochain, tu pourras, si tu le jugesa à propos, lui donner ta pièce pour faire sa surprise  ; car la pauvre enfant en est encore à la surprise et j’aime autant ça.
Je m’étends le plus que je peux sur ce sujet pour n’avoir pas à te parler de mes griefs mais, quoique je fasse, il restera toujours assez de place pour en fourrer quelques-uns dans ce hideux gribouillis. Par exemple, pourquoi ne pas m’avoir fait voir Lucrèce depuis cinq ans ? Tu me prives de tout, mon Toto, de tout ce qui est le plaisir, la santé et le bonheur. Je ne sors jamais. Jamais je ne peux voir tes pièces, depuis cinq ans cela ne m’est pas arrivé deux fois et depuis trois ans, c’est à peine si je te reçois une fois par mois dans mon lit. Pour une vie d’amour, c’est bien triste et je ne comprends pas. Si tu m’aimes, comment tu ne le sens pas et si tu le sens, comment tu te résignes à cet affreux supplice ? Pour moi qui n’y peuxb rien, je souffre et je proteste contre et je t’aime parce que l’amour, même malheureux, c’est l’amour.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 161-162
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « juge ».
b) « peut ».


19 février [1843], dimanche soir, 10 h. ¾

Tu restes bien longtemps chez ton roi, mon adoré, est-ce que vous comploteza quelque chose contre le gouvernement à vous deux ? Ou plutôt tu es rentré chez toi pour voir ta chère petite Didine et je te le pardonne car je sens que chaque minute de son séjour ici devient de plus en plus précieuse pour toi et pour toute sa famille qui l’adore [1]. Aussi, mon pauvre ange, quelle que soit mon impatience, quel que soit le désir et le besoin que j’ai te te voir, je serai patiente et raisonnable.
Mme Franque est venue me remercier, enchantée et très reconnaissante des places que tu lui as données. Il paraît qu’il y avait un monde fou, que Mlle George a été superbe et qu’on a applaudib à toute volée. Voilà les nouvelles de la représentation, sans tous les compliments et toutes les admirations pour la pièce que je ne te dis pas parce que c’est tout simple.
Mais moi, moi quand donc la verrai-je cette pièce et les autres ? On dirait que j’ai la peste et que je ne suis plus du nombre des vivants, de ceux qui vont voir et admirer tes chefs-d’œuvre du moins. C’est fort ridicule et je m’insurge pour de bon à la fin ! La première fois qu’on donnera n’importe quoi de toi, je veux y aller, dussé-jec louer une loge pour ça. C’est mon idée. Je peux bien avoir une idée une fois par hasard et la suivre jusqu’au bout coûte que coûte, tant pis pour celui qui paiera. Baisez-moi monstre d’homme et taisez-vous.
Mlle Hureau est venue, bonne demoiselle, c’est mardi qu’on juge son procès, du moins elle l’espère. Si tu peux voir M. Debelleyme et lui parler de son affaire chemin faisant tu m’obligeras personnellement car je lui dois bien de la reconnaissance.
Je t’aime, mon Toto chéri.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 163-164
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « complottez ».
b) « applaudit ».
c) « dussais-je ».

Notes

[1Le 19 février, Léopoldine et son mari partent pour Le Havre.

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