10 juin 1856

Guernesey, 10 juin 1856, mardi après-midi, 3 h. ½

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour où que tu sois et quoi que^a tu fasses ; bonjour dans ton cœur et beau jour dans tes yeux, je t’aime. Je sors à peine de la suie et de l’aria du ramonage, ça n’est pas dommage depuis dix heures du matin que toute la maison du haut en bas était sens dessus dessous. Tu penses bien que je n’ai pas eu le temps d’écrire au citoyen Cahaigne pendant tout ce hourvari^b, tout à l’heure je l’ÉPISTOLERAI de ma plus belle écriture avec la crainte de ne pouvoir pas y envoyer Suzanne aujourd’hui tant elle a encore à faire dans ma maison. Mais un jour de plus ou de moins ne fait rien à l’affaire n’est-ce pas ? Ce n’est pas comme de te voir une minute ou deux plus tard, ce qui est pour mon amour une grosse question et beaucoup de bonheur en moins. Aujourd’hui je ne te verrai probablement pas avant ce soir ? Mais je n’ai pas le droit de me plaindre puisque j’ai été si heureuse hier au soir et puis c’est jour de poste sans compter tant d’autres chiens imprévus à fouetter. À propos d’imprévu Caroline est accouchée cette nuit d’une petite fille. Quand je pense qu’il y a à peine deux mois qu’elle se plaignait d’irrégularité dans le service et que j’avais la bonasserie de lui enseigner l’infusion de safran [1] et qu’elle en buvait, cela me défrise un peu sur la sincérité de son bigotisme. Du reste cela ne m’émeut pas autrement et ce que j’en dis n’est qu’histoire de cancan. Je t’aime voilà tout ce qui m’occupe et me tient au cœur de façon à n’en pouvoir jamais déguerpir.

[Ju  ?]

BnF, Mss, NAF, 16377, f. 167
Transcription de Chantal Brière

a) « quoique ».
b) « ourvari ».