9 mai 1856

Guernesey, 9 mai 1856, vendredi après-midi, 1 h.

Bonjour, mon tout bien-aimé, bonjour, ne sois pas triste, je t’aime ; et ce mot-là est fait de rayons pour ta gloire, de tendre sollicitude pour ta tranquillité et pour ta santé, de joie pour ton sourire et de bonheur pour ton âme. Je t’aime ! J’espère que tu as un peu de répit aujourd’hui, jour de non poste, et que tu n’es plus dans l’horreur du déménagement [1], mon pauvre petit homme, tâche d’en profiter pour te reposer un peu le corps et l’esprit qui doivent être bien fatigués tous les deux. Moi j’ai un stupide rendez-vous avec la couturière aujourd’hui de trois à quatre heures, ce qui m’ennuie déjà par-dessus la tête. J’espère n’y pas rester longtemps et être revenue avant toi mais dans le cas où cette corvée se prolongerait plus que je ne le crois Suzanne t’allumera du feu ou si tu préfères venir au-devant de moi tu le peux en passant par le chemin ordinaire jusqu’au passage de l’hôtel de la Couronne car c’est au coin de ce passage même que la couturière respire. En attendant je fais une assez piteuse mine car je souffre depuis un bout de ma carcasse jusqu’à l’autre et je n’ai pas dormi cette nuit encore moins que d’habitude. J’attends avec impatience l’été pour voir s’il fera une heureuse diversion à tous mes malaises d’hiver. Jusque là il faut bien que j’en prenne mon parti en grognant, en geignant et en soufflant comme un vieux cheval de fiacre. Je voudrais être déjà revenue, mon cher petit bien-aimé, pour t’attendre à cœur joie dans mon petit coin. Je vais me dépêcher d’essayer mes TOILETTES pour ne pas te perdre une minute. Pense à moi, mon cher petit Toto. Et aimez-moi je L’AIGUE-ZIJE.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16377, f. 141
Transcription de Chantal Brière