18 juillet 1864

Guernesey, 18 juillet [18]64, lundi matin, 7 h.

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, je t’aime. J’ai lieu de supposer que tu dors encore ou que tu n’es pas encore levé, ce qui n’est pas la même chose, puisque ton petit signal d’amour n’est pas encore arboré. Quant à moi j’ai très bien dormi et je dormirais peut-être encore si je n’avais pas été réveillée ce matin à six heures par des coups de marteau réitérés dans la maison voisine. Mais je ne m’en plains pas car j’ai passé une très bonne nuit et que je vais très bien ce matin. Je voudrais pouvoir en dire autant de la pauvre Suzanne qui est loin d’en être là. Elle souffre et elle ne veut pas que je fasse venir Corbin, ce que je comprends jusqu’à un certain point, car rien n’est plus agaçant que d’avoir un médecin à ses trousses quand on n’est pas tout à fait in extremis. Cependant je persisterai à vouloir qu’elle le voie puisqu’elle souffre autant qu’hier et qu’avant-hier. Je crains que la médecine anglaise ne soit pas compatible avec notre organisation française, du moins si j’en juge d’après moi. Aussi j’ai hâte de toucher terre quelque part pour être débarrassée de tous mes maux. Le voyage, c’est-à-dire le côte à côte avec toi, main dans main, yeux dans yeux, haleine dans haleine, voilà ce qu’il faut à ma santé et à mon bonheur [1]. Tout le reste n’est que de l’affreux chicotin impuissant.

J.

BnF Mss, NAF 16385, f. 192
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette