11 février 1856

Guernesey, 11 février 1856, lundi après-midi, 3 h.

Cher petit homme, me voici arrêtée dans MON TRAVAIL avant de l’avoir commencé faute de papier. Ce qui ne fait pas mon compte, tant s’en faut, car, après le bonheur d’être avec toi, il n’en est^a pas de plus grand et de plus doux que de vivre avec ta pensée. En attendant je repasse dans mon esprit toutes les merveilles que tu m’as lues hier et je voudrais déjà les avoir copiées pour en entendre d’autres au risque d’en rester pétrifiée^b d’admiration pour le reste de mes jours. Aussi je ne te lâcherai pas aujourd’hui avant que tu ne m’aies acheté ou laissé acheter du papier et de l’encre. Ah ! mais c’est comme cela ; ça vous apprendra à me brûler le cœur et l’âme avec^c les rayons de votre poésie sublime, ma crainte est que vous veniez trop tard pour pouvoir descendre à la ville faire la provision de papier sans laquelle je ne puis rien faire. Pourtant ce n’est pas aujourd’hui jour de poste. À propos de poste la servante des Préveraud n’est pas venue, ce qui les force à demeurer encore à l’hôtel [1]. J’oubliais de vous demander comment vous avez trouvé mon POULET CHINOIS ? Si vous le trouvez de votre goût, je pourrai vous en donner un pour chacune de vos deux femmes, mes moyens me le permettent. Jusque là, je vous attends sinon avec patience, du moins avec courage et je vous aime par-dessus le soleil et les étoiles.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16377, f. 56
Transcription de Chantal Brière

a) « n’est ».
b) « pétrifier ».
c) Juliette écrit deux fois « avec ».