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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 juillet [1838], lundi matin, 10 h. ¼

Bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour toi, si ravissant, bonjour je t’aime, je voudrais le crier assez haut pour que tu l’entendisses d’où tu es. Tu as été si bon hier, si indulgent, si doux que c’était bien ravissant et bien rassurant de t’entendre. Aussi, je suis confiante ce matin. Je crois que tu m’aimes et que tu ne me trompes pas et je t’aime en [illis.] de mon amour par reconnaissance. Bonjour mon Toto, Comment vont tes yeux adorés, je n’ose pas te le demander car je sens que tu as travaillé encore plus qu’à l’ordinaire, toutes les nuits dernières. Mon pauvre bien-aimé, comme c’est triste de penser que les besoins de ma vie te sont si péniblement imposés. Je donnerais la moitié du temps qui me reste pour que cette lourde charge te fût ôtée. C’est bien profondément vrai. J’espère te voir tout à l’heure mon amour et je [suis ? serai ?] bien heureuse. En attendant, je vais vous payer ma dette. Je ne demande jamais crédit plus longtemps que ça, moi, c’est-à-dire à vous car mes créanciers ne se plaignent pas de mon empressement à les payer mais vous, je vous adore, c’est ma seule monnaie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16335, f. 59-60
Transcription de Sandra Glatigny assistée de Gérard Pouchain


16 juillet [1838], lundi matin, 10 h. ¾

Ceci, c’est ma lettre d’hier avec toutes les additions que 18 heures ont apportées à mon amour. Chaque minute qui s’écoule augmente mon amour d’un siècle. Voilà la proportion. Aussi, si j’étais arbre au lieu d’être femme, je réaliserais la figure de la fable, la tête dans les cieux et les pieds touchant à l’empire des morts [1]. Si ma citation n’est pas exacte, du moins, mon amour est vrai, ce qui vaut mieux. Papa, je suis très bête et ma place serait au Jardin des Plantes, si j’avais assez de protection pour m’y faire admettre. Plus je t’aime et plus je suis stupide. Ce n’est pas ma faute mais c’est bien vrai. Il y a des moments où je crains que cela ne t’empêche de m’aimer et alors je suis bien triste. Mais puisque tu aimes toutes les bêtes de la création, tu dois m’aimer aussi puisqu’à moi seule, je réunis toutes les qualités physiquesa et intellectuelles. Je ne sais pas ce que je dis. Je sais que je t’aime. Hors de là, je ne sais plus, je ne suis plus rien. Pardonne-moi d’être si bête et aime-moi un peu.

Juliette.

BnF, Mss, NAF 16335, f. 61-62
Transcription de Sandra Glatigny assistée de Gérard Pouchain

a) « phisiques ».


16 juillet [1838], lundi soir, 6 h. ¼

Je t’ai bien attendu et bien désiré, mon Toto, et tu n’es pas venu. Je ne t’en veux pas mon amour mais je suis triste. Le jour où tu auras fini ta pièce, je serai bien contente car tu pourras me donner plus de temps, c’est-à-dire plus de bonheur. Je suis fatiguée ce soir comme si j’avais bien travaillé. C’est probablement le travail que je fais sur ma raison pour tâcher d’être résignée, qui me courbature à ce point. Je tire tant que je peux et je n’en viens pas à bout. Quelle bonne surprise ce serait si tu venais me prendre tout à l’heure pour aller dîner aux MARRONNIERSa [2] ou ailleurs. Malheureusement, c’est trop SURPRENANT pour que tu me SURPRENNES avec cette SURPRISE. Mais il n’est pas défendu de le désirer. Je vous aime, Toto, j’ai faim et soif de votre chère petite personne. Tâchez de ne pas trop me faire attendre si vous voulez que je n’aie pas bien mal à l’ESTOMAC. Soir pa, soir man, je vous aime.

Juliette.

BnF, Mss, NAF 16335, f. 63-64
Transcription de Sandra Glatigny assistée de Gérard Pouchain

a) « maronniers ».

Notes

[1Allusion à la fable de La Fontaine, « Le Chêne et le Roseau » (Livre premier, XXII) :
« […] Celui de qui la tête au ciel était voisine,
Et dont les pieds touchaient à l’empire des morts. »

[2Restaurant réputé de Bercy.

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