8 novembre 1873

Paris, 8 novembre [18]73, samedi soir, 5 h. ½

Si tu t’étais retourné tout à l’heure sur le boulevard Pigalle, mon cher affairé, tu aurais vu Petite Jeanne courant derrière toi sans pouvoir te rattraper. Peut-être, avec la seconde vue du cœur, m’aurais-tu vue^a moi-même suivant ta piste avec la tendre et muette fidélité bestiale d’un vieux chien pour son maître. Mais tu étais trop activement absorbé pour voir tout cela et Petite Jeanne en a été pour son petit galop et moi pour ma quête âme au vent. Le citoyen Robelin vient de venir et j’ai profité de sa visite pour lui dire ce dont nous étions convenus hier, à savoir que nos deux jours étaient devenus tellement amovibles que nous ne donnions plus de rendez-vous rue Pigalle [1] ni le jeudi, ni le dimanche et que tu lui écrirais prochainement à ce sujet-là. Il sortait de chez M^me Charles qui était en compagnie de M^mes Asseline et Gouzien, il m’a parlé très peu clairement de l’affaire du piédestal de ton buste d’où il sait que je n’y ai rien compris. Tout cela, sans être sale, tient de la place et fait perdre le temps ; aussi n’aurai-je pas fini de copire ce soir comme je l’espérais ; mais je compte bien finir demain avant le déjeuner. Il me reste juste le temps de te finir mon gribouillis, encore plus bête qu’il n’en a l’air, et pour me débarbouiller et m’habiller, d’ici à ce que tu reviennes. Je t’aime comme un ange et comme une damnée.

BnF, Mss, NAF 16394, f. 314
Transcription de Manon Da Costa assistée de Florence Naugrette

a) « vu ».