14 janvier 1873

Guernesey, 14 janvier [18]73, mardi matin, 8 h. ½

Comment te trouves-tu ce matin, mon pauvre grand bien-aimé ? J’espère que le petit accident d’hier soir n’a pas eu de suite et que tu as bien dormi. L’heure normale à laquelle tu as paru sur ton toit m’en donne la presque certitude, puissé^a-je ne pas me tromper.
Je me suis aperçue trop tard hier pour faire courir après toi, que tu avais oublié d’emporter ton petit œuf.^b
Je te l’ai envoyé ce matin avec recommandation^c de te le donner au saut du lit pour que tu profites de sa fraîcheur, j’espère qu’on n’y aura pas manqué.
Cher adoré, je te supplie de tenir compte du petit avertissement que la Providence et la nature t’ont donné hier pour surveiller un peu mieux ton régime et ne pas attendre une seconde sommation (avec frais) pour prendre les précautions hygiéniques dont malgré ta force et ton génie tu as besoin comme le premier homme venu. Tu as une ardeur au travail qui m’effraye et que je voudrais pouvoir modérer au prix de ma propre vie, si Dieu consentait à cette transaction, en te donnant les joies et le bonheur de la famille qui te manquent et dont tu as plus besoin que jamais. Je le prie de toute la force de mon amour et de toute la crainte que ton activité m’inspire de te rendre à tes enfants, ou tes enfants à toi, le plus tôt possible. En attendant, mon adoré bien-aimé, je te recommande la prudence pour toi et la pitié pour moi dont tu es la vie et l’âme.

BnF, Mss, NAF 16394, f. 13
Transcription de Maggy Lecomte assistée de Florence Naugrette

a) « puissai-je ».
b) Juliette va à la ligne et met une croix entre les deux lignes.
c) « reccommandation ».