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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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15 juin 1846

15 juin [1846], lundi matin, 8 h.

Bonjour et merci à toi, mon généreux homme, pour n’être pas allé à cette fête. Bonjour et bonheur à tous les tiens pour la divine bonté dont tu me donnes tous les jours la preuve. Mon âme, ma pensée, mon cœur, mon admiration et tout ce que j’ai de bon en moi pour te bénir à tous les instants de ma vie, mon Victor ravissant. Il m’a fallu bien du courage pour te quitter à l’endroit le plus charmant et le plus tranquille de [la route  ?], au moment où les doux rayons de mon amour me pénétraient le cœur. Il m’a fallu me résister de toutes mes forces pour ne pas te suivre jusqu’au bout. Il a fallu le souvenir de cette pauvre enfant si malade et si accablée pour me décider à te quitter avant la fin du chemin. Encore si tous ces douloureux sacrifices, les plus grands que je puisse faire, étaient comptés à cette malheureuse enfant. Mais j’ai beau offrir au bon Dieu mon bonheur de chaque jour en échange de la santé de cette chère enfant, il ne m’écoute pas. La nuit n’a pas été bonne. Elle n’a presque pas dormi et elle a toussé toute la nuit. Dans ce moment-ci elle tousse à s’arracher la poitrine. La pommadea a commencé à faire un peu d’effet. Quelques boutons se sont montrés d’un côté ce matin. Si cela pouvait la soulager j’en serais bien contente. Cela n’empêchera pas les ponctions d’iode d’ici à deux ou trois jours. Jusqu’à présent aucun de ces remèdes n’a agi efficacement et [illis.] gagne du terrain tous les jours. Il n’y a pas au monde de spectacle plus affligeant que celui d’une pauvre créature que la maladie envahit petit à petit sans que rien puisse lui faire obstacle. Quant à moi, j’ai le cœur navré et je n’ai même plus le courage de prier. Je suis triste, triste, triste. Je ne trouve de force et de courage qu’en pensant à toi. Je n’ai foi et espoir qu’en toi. Tu es ma lumière, mon divin bien-aimé que je baise et que j’adore. J’espère que je te verrai ce soir malgré tout ce que tu as à faire, car je sais combien tu es bon, car je sens combien j’ai besoin de te voir, car il faut que j’espère pour trouver le courage de soigner cette pauvre malheureuse enfant.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16363, f. 157-158
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

a) « pomade ».


15 juin [1846], samedi après-midi, 3 h. ¾

Je tâche de t’attirer à force de te désirer et de t’aimer, mon Victor bien-aimé. Il me semble qu’il est impossible, quelles quea soient tes occupations, que tu résistes au besoin ardent que j’ai de te voir. Et pourtant, en y réfléchissant, je reconnais la presque impossibilité que tu viennes aujourd’hui. Je me le dis pour me préparer à ce chagrin ce soir, quand l’heure de t’espérer sera passée. Mais loin de m’y préparer je ne fais qu’accroître le besoin inextinguible que j’ai de te voir. D’ailleurs il me semble que cela me porte bonheur quand je t’espère malgré toutes les mauvaises choses qui paraissent devoir t’empêcher de venir. Aussi je t’espère aujourd’hui plus que jamais, quitte à pleurer à chaudes larmes ce soir, si je ne t’ai pas vu. M. Pradier est venu ce matin voir sa fille. Il s’est excusé tant bien que mal de n’être pas venu hier, puis il doit lui envoyer je ne sais quel brimborion qu’elle lui a demandé. Du reste elle est toujours dans le même état de débilité, plus grand encore à cause de l’excessive chaleur. Je pense avec angoisse à la nuit prochaine, dans la crainte qu’elle ne la passe pas bien. Je ne sais pas si l’effet est le même pour tout le monde, mais il me semble que les ténèbres et le silence grandissent et décuplentb le danger. Dès que cette pauvre bien-aimée pousse un gémissement, il me semble qu’elle va mourir. Le jour je suis moins effrayée quoique l’état de cette malheureuse enfant soit évidemment le même. Aujourd’hui, par exemple, elle a eu deux faiblesses très prolongées. Je n’ai pas été alarmée comme je l’aurais été si elles avaient eu lieu la nuit. C’est pour cela, mon bien-aimé, qu’il faut que je retrempe mes forces et mon courage dans le petit moment de bonheur que tu m’apportes tous les soirs. Quand il me manque, tout me manque. Si tu savais à quel point c’est vrai, mon doux bien-aimé, tu redoublerais encore d’efforts, outre ceux prodigieux que tu fais tous les jours, pour me donner ce pauvre petit brin d’amour et de joie ce soir. Je t’attends, mon Victor adoré, c’est l’occupation d’une partie de ma vie. Si je ne t’attendais pas je mourrais bien vite de découragement et de chagrin. À tout à l’heure, je l’espère de tout mon cœur.

[Juliette  ?]

BnF, Mss, NAF 16363, f. 159-160
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

a) « quelque ».
b) « décuple ».

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