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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 juin 1846

13 juin [1846], samedi matin, 8 h. ½

Bonjour mon Victor adoré, bonjour mon cher adoré petit Toto, bonjour mon bonheur, bonjour mon ravissant petit homme, bonjour. Je t’aime et je te baise. La nuit a été encore bien mauvaise pour cette pauvre enfant et pour moi aussi. Nous sommes bien fatiguées elle et moi ce matin, et j’ai de plus un mal de gorge hideux. C’est aujourd’hui que le curé vient la confesser. Je crains que cela ne fatigue encore plus cette pauvre créature. D’un autre côté, je ne peux ni ne dois m’y opposer puisque cela lui fait plaisir. Je tâche, depuis le moment où tu m’as parlé de ce voyage à Lille, de détourner ma pensée de ce malheur, comme si cela pouvait l’empêcher d’arriver. Et cependant il n’est que trop certain que tu iras, mon pauvre adoré, car il est impossible que, d’ici à demain, tu aies trouvé un prétexte honnête de n’y pas aller, vis-à-vis ces gens qui attachent une si grande importance à ta présence à cette inauguration [1]. Ainsi, je vais pour la première fois depuis que je t’aime, avoir le chagrin d’être séparée de toi par une longue distance et pour un motif bien futile. Je ne t’en accuse pas, mon doux-aimé, car je sais que ce n’est pas ta faute, et que toutes ces cérémonies qui plaisent aux esprits vulgaires et désarmés te sont antipathiques. Mais j’en veux à la providence qui ajoute, sans nécessité, une inquiétude de plus à toutes celles que j’ai déjà, qui prend le pauvre petit moment de bonheur que tu me donnes si difficilement tous les jours pour le donner à la vanité et à l’amour-propre du premier venu. C’est triste, amer et décourageant, et je me retiens de toutes mes forces pour ne pas [illis.]. Pourvu qu’il ne t’arrive aucun accident d’aucun genre ? Pourvu que tu me sois fidèle de cœur, de corps et de pensée ? Ma pensée et mes craintes iront et viendront sur ce hideux chemin demain et après-demain, toute la journée. Je ne serai tranquille et consolée que lorsque je te reverrai. D’ici-là, j’espère que tu viendras aujourd’hui. Je fais plus que l’espérer. J’y crois de toutes mes forces et je t’attends avec toute l’impatience de mon amour qui a bien faim et soif de toi. Je t’aime trop, mon Victor, c’est bien vrai.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16363, f. 151-152
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Inauguration de la ligne de chemin de fer Paris-Nord, reliant Paris à la Belgique, et que Hugo utilisera en décembre 1851 pour fuir en Belgique après le coup d’État.

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