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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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4 juin 1846

4 juin [1846], jeudi matin, 7 h. ½

Bonjour mon aimé, bonjour mon plus qu’aimé Toto, bonjour mon adoré, bonjour ma vie, bonjour mon âme. Je me prépare à la journée d’aujourd’hui en t’écrivant dès le matin. Je récapitule toutes mes forces en pensant à toi et en t’aimant de toute mon âme, mais mon vrai courage je ne le trouve que dans ta douce et bienfaisante vue. Rien ne supplée à ce moment de bonheur suprême, pas même tes adorables lettres. Aussi, quoi que je fasse, je me sens bien seule et bien triste ce matin. Cependant ma fille a passé une bonne nuit, du point de vue du calme et du sommeil, mais le médecin qui sort de chez moi trouve ses crachats purulents. La faiblesse est toujours la même, et la fièvre qui en est la cause aussi. La diarrhéea n’est pas revenue mais rien ne dit qu’elle ne reviendra pas. Enfin, sans avoir plus de sujet de m’alarmer, je n’en ai aucun d’espérer, si ce n’est en la bonté de Dieu. Je voudrais être plus pieuse et plus confiante pour lui demander cette grâce avec toute l’onction et toute la ferveur d’un cœur vraiment croyant en sa bonté. Je sens que je ne suis pas arrivée au degré suffisant pour espérer un miracle. Je me défie de moi et du bon Dieu. Je crois en lui cependant. Je ne sais pas d’où me vient cette défiance presque impie, surtout quand il s’agit de mon pauvre et unique enfant. Je me fais de cruels et d’amers reproches pour avoir négligé les choses de la religion au point de ne pouvoir y trouver une consolation au jour des épreuves et des malheurs. Avant toi, je ne pensais à rien. Je ne vivais pas. Depuis que je t’ai vu, je t’ai aimé de tous les amours à la fois. Je t’ai déifié, j’ai fait de mon amour un culte, une adoration de tous les instants sans aucun mélange des choses de la terre et du ciel. Si c’est offenser le bon Dieu que d’aimer autant son plus parfait ouvrage, je suis très coupable en effet, mais il n’aurait pas dû m’en punir dans mon enfant parce qu’il est le bon Dieu, et parce qu’il sait que je ne peux pas t’aimer autrement.

9 h. ½

Je finis cette lettre deux heures après l’avoir commencée, à cause des dérangements successifs que j’ai eusb et dans lesquels la visite de M. Pradier entre pour une bonne partie. Il est venu voir sa fille une demi-heure, puis il est parti sans laisser aucune trace de sa visite, si ce n’est dans le cœur de sa fille, car il ne dit rien qui vaille la peine d’être écouté. Un seul mot de toi, mon Victor bien-aimé, fait vibrer mon âme toute la journée. Je t’aime, je t’aime, je t’aime de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16363, f. 121-122
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

a) « diarhée ».
b) « eu ».


4 juin [1846], jeudi après-midi, 4 h. ¾

J’ai tant besoin de te voir, mon Victor chéri, que malgré ta douce et charmante petite lettre, malgré les affaires sérieuses que je te connais et qui doivent t’occuper toute la journée, aujourd’hui et demain, j’espère encore te voir venir tout à l’heure. Il m’est impossible de ne pas espérer jusqu’au dernier moment. Je crois même que c’est ce qui me donne le courage et la résignation d’attendre tous les jours le pauvre petit moment de bonheur que tu m’apportes. Ta bonne petite lettre n’est arrivée qu’aujourd’hui à 2 h. Je l’ai accueillie avec un sourire triste et tendre, tout plein d’amour et de regret. Je l’ai lue et baisée à tous les mots, puis à chaque lettre de chaque mot, puis je l’ai relue et rebaisée et maintenant je l’ai là sous les yeux, je la regarde plus souvent que mon papier. J’en dévore toutes les tendresses ineffables qu’elle contient. Je voudrais me l’incarner dans mon sang pour qu’elles ne sortent pas plus de mon cœur que de ma pensée. Chaque mot contient un trésor d’amour et de consolation qui me transporte d’admiration et de reconnaissance. Ô mon Victor, mon bien, ma vie, ma joie, mon âme, sois béni à jamais dans tous ceux que tu aimes pour tout le dévouement et toute la tendresse dont tu m’entouresa dans cette triste et douloureuse circonstance. Il n’y a que toi au monde pour faire ce que tu fais tous les jours, pour me donner dans une minute d’entrevue des journées entières de courage. Je te rends bien la justice que tu mérites, mon adoré. Tout mon être se fait amour en pensant à toi. Sois béni, sois heureux autant que tu es aimé, admiré et adoré par moi. La journée a été bien calme pour cette pauvre bien-aimée mais elle est toujours sans force. Ce matin j’ai crains la diarrhéeb mais cela s’est arrêté dès la première fois. Il me semble que si la nuit prochaine était bonne qu’elle serait mieux demain et qu’elle reprendrait quelque force. J’épie tous les plus petits indices qui peuvent me donner de l’espoir. Malheureusement ils sont trop rares et trop passagers jusqu’à présent. Cependant j’espère. Je ne peux pas croire que le bon Dieu pousse cette cruelle épreuve jusqu’au bout en me privant de mon enfant. J’espère puisque tu me dis d’espérer. Tu es ma providence et ma croyance. Tu es ma vie et mon amour. Je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16363, f. 123-124
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

a) « entoure ».
b) « diarhé ».

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