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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 mars 1847

27 mars [1847], samedi après-midi, 3 h. ½

Je ne sais pas ce que tu auras fait, mon petit Toto, puisque je ne t’ai pas encore vu, mais ce serait très mal à toi d’être allé à la Chambre sans passer chez moi pour baigner tes pauvres beaux yeux et me donner un pauvre petit baiser de rien du tout. J’aime mieux croire que tu es à la mairie ou chez le commandant Boulet [1] ou que tu travailles. À la rigueur même j’aimerais mieux te savoir chez Chaumontel [2] que de penser que tu as eu le cœur d’aller à cette Chambre sans venir me voir un tout petit moment.
Dites donc mon pair de France j’approuve fort votre improvisation de cette nuit. Ce genre d’éloquence n’est pas désagréable et vous devriez en user avec moi plus souvent. Vous verriez comme cela agirait sur mon imagination avec succès. Essayez de persévérer seulement pendant vingt-cinq ou trente ans et vous m’en direz de bonnes nouvelles. Toujours est-il que j’ai été très agréablement surprise cette nuit et que mon ravissement n’est pas encore passé. Si vous tenez à ce qu’il continue, dépêchez-vous de venir.
Quel beau temps, mon Victor, et comme je serais heureuse de marcher avec toi en plein air. Rien n’est plus sombre, plus humide et plus enfumé que ma chambre dans ce moment-ci. Pas un rayon de soleil ne peut y pénétrer et je suis obligée de tenir ma fenêtre fermée à cause des cardeuses de matelas qui travaillent dans la cour depuis deux jours. De sorte que rien n’est plus maussade et plus nauséabond que cette petite chambre. En hiver cela ne paraît pas parce qu’il fait noir partout mais dans les beaux jours c’est un contraste désolant. Dès qu’il fera chaud je me tiendrai dans le salon le plus que je pourrai, mais d’ici là il faut que je me résigne à vivre dans une hideuse obscurité.
Voilà bien des rengaines pour une chambre, n’est-ce pas mon cher petit bien-aimé ? Que veux-tu, tu es la seule personne avec laquelle je communique de temps en temps, ce qui fait que je me laisse aller à te dire ce qui se passe en moi et autour de moi au risque de t’ennuyer beaucoup. Pardonne-moi, et aime-moi tout de même et encore plus si c’est possible car je le mérite bien.

Juliette

MVH, α 7872
Transcription de Nicole Savy

Notes

[1À élucider.

[2Voir la lettre du 26 mars au matin.

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