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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 mai 1846

21 mai [1846], jeudi après-midi, 1 h. ½

Je t’écris bien tard, mon bien-aimé, et pourtant je suis levée depuis bien longtemps. Je pourrais même dire que je ne me suis pas beaucoup couchée, tant la nuit a été mauvaise pour cette pauvre enfant. M. Triger est arrivé à 11 h. ½ du matin et il l’a saignéea tout de suite. On avait prévenu l’autre médecin qui a eu avec lui une conversation dans le jardin. Pendant ce temps, le sang avait déjà pu donner du diagnostic en se coagulant. Ils pensent, d’après ce sang, qu’il faudra une autre saignée. Du reste, il leur seraitb impossible à l’un comme à l’autre d’assister à la visite de M. Louis si elle avait lieu demain avant cinq ou six heures du soir. Ils aimeraient mieux que la consultation, à cause de la saignée même, n’ait lieu que samedi. J’ai envoyé tout de suite Mme Lanvin chez M. Pradier pour lui dire de tâcher d’arranger le jour et l’heure avec M. Louis pour qu’au moins un de ces deux meilleurs assiste à la consultation qui sans cela deviendra presque aussi inutile que l’autre. Dieu veuille que je sauve ma pauvre fille des griffes de tous ces gens là et que je puisse bientôt emplir mes gribouillis de choses plus agréables et plus gaies que toutes ces lugubres purgonnades dont je la bourre depuis plus d’un mois.
Il paraît que c’est aujourd’hui ma fête. Hélas, quelle dérision puisque je ne te verrai pas aujourd’hui. J’en veux presque à ceux qui s’en sont souvenus car pour moi les fleurs et les souhaits font ressortir plus douloureusement encore ton absence. Je voudrais pouvoir me cacher et pleurer à mon aise, il y a si longtemps que je me contiens et j’en ai si gros sur le cœur que je voudrais pouvoir pleurer jusqu’au moment où je te reverrais. Oh ! je souffre, mon Victor adoré. Je m’arrête pour ne pas blasphémer et pour ne pas te désespérer en te montrant jusqu’où va mon découragement. Pourvu que tu puisses m’écrire et que je puisse recevoir ta lettre désirée aujourd’hui ? Je ne sais pas ce que je deviendrai si elle me manque. Écris-moi mon adoré, pour que j’aie quelque chose de toi à baiser ce soir, pour que je rafraîchisse mon âme dans tes adorables tendresses. Je t’en prie, je t’en supplie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16363, f. 73-74
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

a) « saigné ».
b) « seraien ».

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