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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 mai 1846

14 mai [1846], jeudi matin, 7 h. ¾

Bonjour mon bien-aimé, bonjour mon adoré petit Toto, bonjour. Que le bonheur soit avec toi et avec les tiens et que le bon Dieu t’envoie à moi aujourd’hui et je serai la plus heureuse des femmes car il me semble que le petit mieux de ma pauvre fille persiste. Si cela était, je pourrais revenir chez moi à coup sûr et sans le moindre regret pour cette chère fille parce qu’elle serait guérie, et même de toute façon, il faudra que je revienne chez moi puisque M. Triger dit avec raison, que le manque d’air pendant qu’elle est au lit, peut lui être très nuisible. Quant à moi, j’en ai la conviction, ce qui ne contribue pas peu à ajouter l’amertume de notre séparation. Le jour où il me sera donné de revenir auprès de toi sera le plus heureux de ma vie car je satisferai à la fois le besoin de mon cœur et celui de me dévouer à cette pauvre chère enfant. J’ai passé une très mauvaise nuit. Sans rêve et sans cauchemara, je me réveillais en sursaut en pensant que tu ne m’aimais plus. Alors je me souvenais que tu avais regardé en route une jeune fille à sa fenêtre avec une sorte de persistante admiration. Et puis je me rappelais que depuis plusieurs mois je ne suis rien moins qu’une femme pour toi, et puis je comparais ton empressement d’autrefois à celui d’à présent et je souffrais et je pleurais comme si j’avais été sûre que tu ne m’aimais plus. Cependant, mon Victor bien-aimé, tu es plus doux, plus généreux, plus dévoué et plus charmant que jamais. Je le vois, j’en suis touchée jusqu’à l’admiration. D’où vient donc qu’il y a un côté de mon cœur dans l’ombre et dans la tristesse tandis que l’autre rayonne de toute la bonté que tu dardesb sur lui. Cette question que je me fais à mon insu et qui me réveille brusquement la nuit, toi seul peux y répondre. Quant à moi, je ne sais que souffrir et t’aimer. Le jour où je serai sûre que je ne suis plus entière dans ton cœur, je mourraic.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16363, f. 45-46
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

a) « cauchemard ».
b) « darde ».
c) « mourerai ».


14 mai [1846], jeudi après-midi, 2 h.

Voici le moment où je commence à compter les nuits et les heures en t’attendant, mon doux bien-aimé, et cela avec d’autant plus d’impatience que je ne suis pas sûre même si tu viendras. Ma fille est assoupie dans ce moment-ci. Elle a eu son accès de fièvre à l’heure accoutumée, ce qui prouve que la tranquillité dont elle jouit n’est pas encore la guérison. Elle est très abattue après ces accès-là. Aujourd’hui, d’ailleurs, c’est son mauvais jour, aussi a-t-elle beaucoup plus toussé et plus craché qu’hier. Son père n’est pas venu et je ne sais pas s’il enverra tantôt. J’attends M. Triger ce soir. J’espère qu’il viendra. En attendant, je suis seule et triste comme un pauvre chien.

BnF, Mss, NAF 16363, f. 47-48
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

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