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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 30 décembre 1854, samedi après midi, 2 h.

Mon guignon familiera m’a encore joué un de ses mauvais tours hier au soir en m’inspirant la stupide pensée de me coucher pendant que tu venais à la maison comme un adorable petit homme que tu es. Aussi je me serais volontiers appliqué de fameuses gifles pour m’apprendre à être si mal avisée. Du reste je n’étais que trop punie de te voir repartir sans avoir pu te baiser une pauvre petite fois. Mes yeux t’ont suivi jusqu’à mon ancien logis ; dans l’espoir que tu te retournerais, j’agitais mon store comme les ailes de chauve-souris de Robin des bois, t’en es-tu aperçu ? mon cœur et mon âme t’ont reconduit jusque chez toi et y sont restés. J’attends que tu me les rapportesb. Jusque là je les supplée par la pensée que je fixe sur toi sans en distraire quoi que ce soit. Pauvre cher petit homme, tu paraissais contrarié hier. Moi qui suis habituée à l’expression de ta noble et belle figure j’ai cru remarquer que ce n’était pas le sérieux sublime du travail qu’elle exprimait mais l’ennui et le mécontentement des choses humaines. Si je me suis trompée, et je ne demande pas mieux, trois fois tant mieux, car je ne peux pas supporter l’idée pour toi d’une tracasserie, si légère qu’elle soit. En fin je verrai bien tantôt si ce petit halo a disparu de ta chère petitec tête que j’admire et que j’adore. Comment a été accueilli le lièvre ? Tu sais qu’avant la viande de boucherie, le gibier est ce qu’il y a de plus nourrissant et de plus sain (voir l’almanach du docteur Charles Place). Aussi, à prix égal, je te conseille d’en manger pendant toute la saison le plus que tu pourras. Ce soir je vous ferai gober mon amour sous la forme de ravissantes petites huîtres bien fraîches. C’est la seule chance que j’ai de vous le faire goûter, ce pauvre amour, en attendant je croque le marmot [1] et je ravale toutes ces tendresses que j’ai sur le cœur au risque de [m’étouffer ?].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16375, f. 444-445
Transcription de Chantal Brière

a) « famillier ».
b) « rapporte ».
c) « petit ».

Notes

[1« Croquer le marmot » signifie familièrement attendre en s’impatientant.

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