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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 7 décembre 1854, jeudi soir, 6 h.

Je commence à remonter sur ma bête, c’est à dire sur mon amour. Ce n’est pas sans peine mais enfin me revoici en selle et de planton comme il convient à une Juju bien dressée et de la haute école de Toto. L’épatement avait été prodigieux et douloureux mais je suis regrimpée de toute la vigueur de mon cœur à mon poste accoutumé d’où je vous veille et vous surveille avec soin : Toto, prenez garde à vous ! Toto, prenez garde à vous !! Toto, prenez garde à vous !!! J’ai vu tantôt le citoyen Durand et je le reverrai peut-être encore ce soir si le cœur lui dit de venir manger la soupe que je lui ai offerte. Il paraît que les Guay continuent de lui faire la grimace tant il est vrai que ce qui nous plaît le moins dans nos amis c’est la sincérité. J’en sais quelque chose, hélas ! moi qui trouve moyen de me faire détester de toi à force de franchise. franchement c’est peu encourageant mais ne réveillons pas le chagrin qui dort et soyons bons amis, Toto, c’est moi qui t’en convie. Dites donc vous, c’est comme cela que vous venez me chercher pour sortir ce soir, affreux monstre ? Décidément vous êtes le dernier des hommes, y compris ceux qui vont à Rouen [1]. Après cela vous êtes peut-être en train de chanter l’hymne jaune [2] et de partir pour la syrie par la même occasion, ce qui explique, excuse et absouta votre manque de parole. Quant à moi je m’efforce de faire du style, de la gaietéb et du comique en veux-tu en voilà. Si vous ne vous en amusez pas c’est que vous en êtes arrivé au degré de décrépitude et de blaserie du grand roi lequel n’était plus amusable et encore moins amusant, ce qui n’est pas votre second cas, j’en atteste la petite Mme Préveraudc. Quant à son mari nous nous passerons de son témoignage et pour cause. Maintenant, mon cher petit Toto, que je vous ai donné de tout un peu je vous comble de baisers et je vous accable de tendresse, telle est ma générosité ; bien entendu que vous n’en prendrez que ce que vous pourrez en consumer, si peu que rien cela me fera un grand plaisir et me donnera l’espoir de vous faire accepter le reste un jour.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16375, f. 416-417
Transcription de Chantal Brière

a) « absoue ».
b) « gaité ».
c) « Préverault ».

Notes

[1« aller à Rouen », dans le jargon des comédiens, signifiait « être sifflé », car le public de Rouen avait la réputation d’être très difficile.

[2L’hymne « jaune » (= traître) est « Partant pour la Syrie », chant devenu national sous le Second Empire dont Juliette parle déjà dans sa lettre du 5 décembre.

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