25 octobre 1854

Jersey, 25^a octobre 1854, mercredi après midi, 3 h. ½

Je conviens que je suis une Juju difficile à contenter, mon pauvre cher petit homme, car, malgré la longue visite (un peu prolongée par la pluie) de M^lle Allix, je ne vous en désire que davantage ; donc je suis insatiable et tout à fait désagréable. Je le sais et je n’en suis pas plus fière pour cela. Du reste je ne suis pas en reste de bons procédés envers M^lle Allix car je viens de lui octroyer les honneurs de mon parapluie, faveur que je regrette déjà et qui me cause les plus vives inquiétudes sur l’avenir de ce parapluie qui, de vierge, va devenir martyr pour peu qu’il tombe un instant entre les mains de Charles. Je suis vraiment très malheureuse d’avoir cédé aussi inconsidérément à un mouvement de générosité. Cette lâche faiblesse ne m’arrivera plus jamais si, par impossible, je parviens à réchapper sain et sauf cet ornement de mes vieux jours. En attendant je bisque affreusement. Cela ne m’empêche pas de trouver ce temps pluviard et venteux tout à fait inhospitalier envers le couple P. Meurice. Ce petit ménage parisien méritait mieux que des averses et des ouragans pour leur dévotieux pèlerinage à la Mecque jersiaise dont vous êtes le prophète. Vous voyez que mes maux ne m’empêchent^b pas de compatir aux plaisirs des autres. Tel^c est mon chic^d. Le vôtre n’est pas trop bête non plus puisqu’il consiste à me persuader que je m’amuse d’autant plus que je m’embête énormément ; et, pour mieux m’en convaincre, vous vous tenez à une distance respectueusement incommensurable de mon aimable personne. C’est encore plus fort que moi je le reconnais. Seulement n’en abusez^e pas si vous êtes généreux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16375, f. 355-356
Transcription de Chantal Brière

a) « 24 », corrigé d’une autre main.
b) « m’empêche ».
c) « Telle ».
d) « chique ».
e) « n’abusez ».