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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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1er septembre 1854

Jersey, 1er septembre [1854], vendredi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon cher petit Toto, bonjour, mon pauvre amour trop adoré, bonjour. J’ai répondu à votre cher petit bonsoir hier à 11 h. par un bon gros baiser que je vous ai envoyé à travers ma vitre. J’ai supposé que c’était pour moi que vous éleviez la voix en passant près de ma maison et mon cœur a battu de reconnaissance et de bonheur. J’ai rallumé immédiatement ma bougie et j’ai constaté qu’il était onze heures juste. Pauvre cher petit obligeant, c’est pousser un peu loin la courtoisie d’un service rendu que d’attendre jusqu’à près de minuit pour dîner. Un tour de force que tu fais faire à tout propos à ton estomac peut finir un jour ou l’autre par une effroyable gastrite dont tu ne pourras plus te débarrassera. Il me semble que, pour risquer ta santé à ce point, il faudrait que ce fûtb pour des choses après tout plus importantes que les expériences de baragouinsc plus ou moins ratées du citoyen Allix [1]. Après cela si cela t’amuse beaucoup tu feras bien de n’en pas perdre une seule occasion mais alors tu feras mieux en dînant d’avance. Voilà, mon cher petit homme, ce que ma sollicitude grognarde et grognonne vous conseille. Je viens de recevoir une lettre de Brest. Il paraît que mon neveu vient d’échouer à Quimper dans son examen de bachelier au grand étonnement des professeurs de son collège et de ses camarades de classes qui s’attendaient d’après ses études et ses succès à un autre résultat. Il paraît du reste qu’on a favorisé le collège communal de Saint Pol de Léon tenu par des prêtres au détriment des autres collèges. Le plus triste de tout cela c’est une année perdue pour ce pauvre garçon et un surcroît de dépense pour les parents qui ne sont rien moins que riches. Enfin tout cela aussi démontre la nécessité de flanquer à bas toutes ces étagères d’empire, d’université, de clergé et autres drogues dont ce [pieux pays est encombré ?] [2]. Sur ce, mon cher amour, je te baise à deux genoux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16375, f. 279-280
Transcription de Chantal Brière

a) « débarasser ».
b) « fut ».
c) baragoins ».

Notes

[1Il s’agit vraisemblablement des démonstrations pseudo-scientifiques de Jules Allix.

[2Le 7 septembre, Juliette réconforte en ces termes son neveu Louis Koch (Lettres familiales, éd. Gérard Pouchain, éd. citée, p. 46-47) :
« Mon ressentiment s’efface devant ton chagrin, mon cher Louis, et je ne sens plus qu’une chose : mon affection pour toi, cher enfant. Te voilà déjà initié aux choses honteuses et tristes de cette vieille société contre laquelle nous protestons par tous les plus grands sacrifices, par tous les plus héroïques martyrs, par l’exil et par la mort. Nous sommes les dévoués et sublimes pionniers qui traçons la route à votre jeune génération à travers les obstacles de toutes sortes : routine, préjugés, fanatisme, ignorance, égoïsme et corruption. Rien ne nous lasse, rien ne nous arrête, rien ne nous effraie. Nos pieds saignent, nos reins plient, nos larmes coulent, mais le courage est debout, mais l’espérance est au fond du cœur, mais la foi ardente et lumineuse rayonne sur nos fronts. Nous entrevoyons enfin la radieuse lumière du vrai progrès et la sainte civilisation au bout de ce long et noir tunnel de la tyrannie. Encore un pas et nous sommes dehors, encore un effort et l’humanité tout entière est sauvée. Je plains ta première déception. Je te félicite de ta première persécution et je t’aime encore plus, si c’est possible, à travers ces deux choses.
Ta tante bien dévouée et bien affectionnée.

Juliette »

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