6 juillet 1854

[Jersey], 6 juillet 1854, jeudi après midi, 5 h.

Je devrais ne pas vous faire la moindre restitus et ne pas plus m’occuper de vous que du grand Turc dont je ne me soucie guère mais je n’en ai^a pas le cœur. Que voulez-vous on n’est pas parfaite. Cela du reste m’empêchera de répondre encore aujourd’hui à Julie [1] malgré la recommandation qu’elle m’a faite de lui écrire tout de suite. J’avoue que je ne sais pas comment je fais et à quoi cela tient mais je n’ai le temps de rien ni le goût de rien en dehors de mon stupide amour. Tout cela est déplorablement ridicule mais que voulez-vous que j’y fasse ? Encore s’il faisait chaud et si vous m’aimiez, je ne me plaindrais pas. Mais toujours grelotter au dehors et au dedans de soi c’est pour en crever de rage. En attendant Fouyou ronfle comme une grande malade en fonction depuis que Suzanne est partie, c’est là sa principale consolation. Moi je regarde passer le jeune Pinson sous ma fenêtre et les voiles à l’horizon. C’est assez mélancolique et rime avec la colique que j’ai dans ce moment-ci. J’aurais bien envie d’être très méchante mais je n’ose pas, ce qui prouve à quel point je perds de ma confiance et de mon aplomb. Je me contente de marmonner tout bas contre tout et bien autre chose sans compter ceux qui vous retiennent trois quarts d’heure à ma porte quand moi je vous vois à peine trois quarts de seconde^b. Si c’est là un sort, dites-le afin que je sache à quoi m’en tenir. Jusque là permettez-moi de m’embêter énormément et de trouver la vie fadasse, molasse et peu cocasse.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16375, f. 237-238
Transcription de Chantal Brière

a) « n’ai ».
b) « secondes ».