29 septembre 1846

29 septembre [1846], mardi matin, 10 h. ½

Bonjour, mon Toto adoré, bonjour, mon bien cher amour, bonjour mon cher petit lambin. Vous ne pensez pas que je n’ai pas mangé depuis bientôt vingt-quatre heures !!! Je sais que vous avez la prétention de me faire crever de faim et vous y réussirez pour peu que cet état d’inanition^a se prolonge encore de quelques minutes. Est-ce que tes enfants sont revenus [1] ? Je ne veux pas penser que tu aurais pu les aller chercher ce matin sans m’en prévenir ? Comment vont-ils ces chers louveteaux ? Comment va le vieux Charlot ? Je voudrais savoir comment tout cela va, y compris votre auguste et sacrée personne. Tâchez donc de venir m’en apporter des nouvelles tout de suite, en même temps vous saurez si j’existe encore car je me sens mourir de faim. Taisez-vous, barbare homme. Vous seriez mieux sous la peau d’un tigre que sous celle^b d’un chrétien. Depuis ce matin je remets en ordre les choses du voyage [2]. Hélas ! que ne dure-t-il encore, ou plutôt pourquoi le premier a-t-il fini une fois. Je ris mais j’ai le cœur triste et plus disposé aux larmes qu’à la joie. Cependant j’espère encore que tu vas venir et que je te verrai au moins une heure. Pourvu que tu viennes, pourvu que rien ne s’oppose à ce que tu me donnes encore cette courte joie ? J’espère, j’attends et je t’aime de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16364, f. 159-160
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « ination ».
b) « celui ».

29 septembre [1846], mardi soir, 6 h.

Où êtes-vous, mon doux aimé ? De quoi et de qui êtes-vous occupé vieux chinois ? Quand viendrez-vous ? Je trouve que je n’ai pas assez de séances à la Chambre des pairs, à l’Académie, à la Commission et ailleurs. Il me semble que toutes ces illustres institutions se donnent un peu trop du talon dans leur juste milieu [3] et négligent un peu trop les intérêts de la patrie et les miens. Il faudra que j’en témoigne hautement mon mécontentement. Je n’ai pas besoin que, sous prétexte de vacance, on vous donne la clef des champs, c’est-à-dire le temps et la faculté de regarder toutes les jambes des femelles qui se troussent plus ou moins haut pour la jubilation libidineuse des vieillards, des pairs de France, des académiciens et autres macrobites [4]. Demain je vous surveillerai. J’irai savoir chez vous ce que vous faites et avec qui vous reverchonnez. Je vous tendrai^a des pièges et des traquenards si bien combinés que vous y tomberez et Dieu sait ce qu’il adviendra après. Je ne sais pas pourquoi vous n’êtes pas revenu un peu ce soir ? À moins que ce ne soit dans la crainte de me donner trop de joie en un seul jour, je ne sais pas ce qui a pu vous empêcher de revenir ? Car pour tout le monde votre maison est fermée et vous êtes tous en villégiature ? Qu’avez-vous à répondre à cela, monstre ? En attendant, je vous attends et je vous aime comme une bête que je suis.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16364, f. 161-162
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « tenderai »