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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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6 novembre [1846], vendredi matin, 9 h.

Bonjour, mon Toto, bonjour mon cher petit pionceur, bonjour vous, bonjour toi. Comment que ça va ce matin ? Moi ça va trop bien parce que je vous aime et que je sais que j’aurai l’honneur de chiquer [1] avec vous un bon déjeuner. N’oubliez pas s’il vous plaît que j’ai dînéa hier à 11 heures et que cela fera juste 17 heures d’intervalle entre ma dernière et ma première bouchée. Déjà mon estomaque commence à battre le rappel. Pour peu que vous soyez exact comme à votre ordinaire, je suis capable de crever de faim avant votre arrivée.
Sans égard pour le vendredi j’ai allumé mon poêle aujourd’hui en votre honneur. Jusqu’à présent j’avais résisté à toutes les sollicitations du froid et des rhumatismes, mais aujourd’hui j’ouvre toutes les bouches de chaleur y compris la mienne pour vous faire un bon accueil et digne d’un cher petit ver à soie comme vous.
À propos de vers à soie, je voudrais bien que ceux que vous me donnez ne soient pas tout à fait à l’état hiéroglyphique. N’étant pas très champollione de ma nature, je n’en peux pas déchiffrer un traître mot. Si cela s’appelle avoir des vers à soi merci, c’est un peu illusoire. Baisez-moi cher petit scélérat et pioncez jusqu’à l’heure de votre déjeuner mais pas plus tard.

Juliette

MVH, α 7816
Transcription de Nicole Savy

a) « dîner ».


6 novembre [1846], vendredi après-midi, 2 h. ¾

C’était bien la peine vraiment de me faire dépêcher à ce point pour me laisser là à vous attendre, n’est-ce pas vieux bâton ? Il eût été plus simple de me dire l’heure au juste à laquelle vous seriez prêt et puis me laisser faire mes affaires à mon aise. Mais cela vous aurait paru trop classique et vous avez préféré votre manière et me faire attendre accrochée à un clou. Le fait est que ce genre est plus pittoresque que l’autre, s’il n’est pas plus amusant.
[illis.] ? Comme je bougonne bien et comme je saisis le joint avec adresse et enthousiasme ? Vous voudriez en faire autant que vous ne sauriez pas comment vous y prendre. Mais moi ! Comme cela coule de source et comme je vous ragotea cela sans avoir l’air d’y toucher ! Voilà ce que c’est que d’être de la bonne école, on s’en ressent toujours à preuve que je m’aperçois que voilà déjà une heure que vous êtes parti, tout de même je bisque et je vous ficherais de bons coups si je vous tenais pour vous apprendre à abuser de ma crédulité et de ma patience à ce point. Comme je ne vous ai pas, je me contente de vous tirer la langue et de vous appeler par tous vos noms les plus impropres homme de lettres, pair de France, académicien et farfioteur [2].

Juliette

MVH, α 7817
Transcription de Nicole Savy

a) « ragotte ».

Notes

[1« Manger », en langue populaire.

[2Homme qui a affaire aux « fafiots » : écrivain, banquier. Fafiots : terme d’argot désignant des papiers, des billets.

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