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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 février [1838], lundi après-midi, 1 h. ½

Bonjour mon cher adoré, bonjour mon cher petit amant de cinq ans. Je te donne en désir et en pensée autant de baisers qu’il y a de secondes dans cinq ans. Il faudrait toi pour exprimer ce que je sens. Moi, je ne sais que t’aimer. Tu es à la répétition [1] ce matin ? Il me semble que si tu voulais, tu pourrais venir dans la nuit te reposer auprès de moi ? Je ferais tout préparer d’avance et tu serais à temps pour ta répétition et nous aurions eu quelques instants de bonheur et d’amour. Je sais bien que tu travailles, mon adoré, je ne le sais que trop. Mais je voudrais que tu eussesa assez d’amour pour nous donner les quelques heures que tu as à toi. J’aurais tant soin de ne pas troubler ton sommeil. J’aurais tant de caresses et de baisers à te donner au réveil qu’il me semble que si tu m’aimais un peu de l’amour que j’ai pour toi, tu approuverais ma petite combinaison et que tu viendrais la nuit prochaine.
J’ai demandé en m’éveillant s’il y avait une lettre pour moi, il n’y en avait pas. Pourtant je ne m’y attends pas du tout mais j’en désire une du fond de mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16333, f. 87-88
Transcription de Marie Rouat assistée de Gérard Pouchain

a) « eusse ».


19 février [1838], lundi soir, 8 h. ¼

Je suis seule, mon adoré, parce que Mme Pierceau est allée à Louis XI [2]. C’est bien naturel, seulement elle avait négligé la précaution d’usage de faire dire chez sa portière qu’elle n’y était pas. Enfin, tant bien que mal je supporte ce contretempsa. Je pense à toi, je t’aime, je t’écris, ça n’est déjà pas si mauvais. J’ai envoyé quérir mon dîner qui consistait en un peu de dinde trufféeb, en fromage de gruyère et en marrons, ce qui est assez substantiel pour une faible femme. Jour Nono, jour mon petit o. Oh ! c’tec pièce ! Oh ! c’te acteur ! Oh ! c’te balle ! Oui, quel bonheur de n’y pas aller à c’te pièce-là. Quand bien même l’auteur me donnerait un morceau de fromage aussi gros que celui dont il a gratifié l’improvisateur des bords de la scène, je refuserais. Parole d’honneur la plus sacréed !!!!!e Quand on a une fois goûté de bon nanan on renâcle sur le pissatf, même quand il est servi dans un pot de chambre propre.
Je t’aime, toi. Plus je vois les autres hommes, et plus j’entends leur hideux ramage, et plus je te trouve beau et admirablement grand. Je t’adore. C’est bien vrai.

BnF, Mss, NAF 16333, f. 89-90
Transcription de Marie Rouat assistée de Gérard Pouchain

a) « contre temps ».
b) « truffé ».
c) « cte », pour toutes les occurrences de ce mot dans cette lettre.
d) « sacré ».
e) Les cinq points d’exclamation courent jusqu’au bout de la ligne.
f) « pissa ».

Notes

[1Répétition de Marion de Lorme, reprise le mois suivant à la Comédie-Française.

[2Tragédie de Casimir Delavigne créée à la Comédie-Française le 11 février 1832. Elle est jouée le 19 février 1838 à la Comédie-Française, avec les acteurs de la création : Ligier dans le rôle-titre, et Mlle Anaïs dans celui de Marie (remerciements à Jacqueline Razgonnikov pour cette information).

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