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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Paris, 2 mars 1880, mardi matin, 8 h.

Cher bien-aimé, je t’accorde tous les pardons en échange du tien que j’ai trop cruellement mérité. Puissent-ilsa être les derniers dont nous ayons besoin toi et moi, et que mon cher livre rouge enregistre aujourd’hui même ce vœu ardent de mon cœur [1]. On dirait que le ciel se met en fête de son côté et qu’il nous encourage à la vie et à l’amour. Tu as une lettre de convocation du Sénat pour aujourd’hui : « réunion dans les bureaux à une heure, et séance publique à deux heures ». Je ne sais pas encore si ta famille dînera avec nous ce soir, mais, dans le cas contraire, nous serions réduits à un doux tête-à-tête. Lesclide, qui vient de passer sous mes fenêtres, et que j’ai hélé pour l’inviter avec sa belle-sœur ce soir, m’a dit qu’il ne pouvait pas venir. Entre nous, je crois qu’il a été contristé de n’avoir pas pu faire son entrée avec toi le soir du banquet de la presse à l’Hôtel Continental. Je comprends sa déconvenue, j’y compatis, et je l’excuse en attendant que sa bouderie se dissipe [2]. On a apporté le paquet recommandé par Marie Hugopour t’être remis en main propre par M. Vidal son ami. Ce monsieur impatienté de ne pas recevoir d’avis de toi, probablement, pour se présenter, a apporté tout à l’heure l’envoi mystérieux qui consiste en deux charmants cadeaux pour Georges et pour Jeanne avec une lettre pleine de douces effusions pour toi. Je vais aller te porter le tout et savoir de toi à quelle heure tu veux te lever, et t’embrasser à cœur que veux-tu et toute âme dehors.

[Adresse]
Monsieur Victor Hugo

BnF, Mss, NAF 16401, f. 62-63
Transcription de Blandine Bourdy et Claire Josselin

a) « Puisse-t-ils ».

Notes

[1Son « cher livre rouge » est le carnet dans lequel sont inscrites les lettres que Victor Hugo lui écrit chaque 16 février pour célébrer leur première nuit d’amour. Il avait aussi l’habitude de lui écrire pour la Sainte Julie et le jour de son anniversaire. Cette année 1880, Hugo ne lui écrit pas le 26 février, mais quelques jours plus tard, ce 2 mars : « C’est l’année octogénaire, c’est la bonne, je ne te pardonne pas, je trouve que tu as bien fait puisque c’est de l’amour. Je veux tout l’amour comme je veux tout le ciel. Je t’aime. ». Comme dans la lettre de Juliette, il est question de pardon dans ces quelques mots. Qu’ont-ils à se pardonner ? Juliette n’a pas écrit depuis plusieurs jours à Victor. Sa dernière lettre date du 26 février et celle-ci semble avoir été écrite par « respect » pour l’« anniversaire mémorable » mais elle est brève et plus froide qu’habituellement. Cela semble indiquer que leur dispute avait éclaté la veille, peut-être à l’issue du cinquantenaire d’Hernani où Sarah Bernhardt, incarnant doña Sol, avait été mise à l’honneur. L’actrice siégeait à la droite de Victor Hugo lors du banquet donné en son honneur ce soir-là, et elle récita des vers à sa gloire.

[2Banquet du 26 février 1880, donné à l’occasion du cinquantenaire d’Hernani et de l’anniversaire de Victor Hugo. Le journal le Rappel, en plus de rendre compte des discours prononcés ce soir-là, liste tous les convives présents. Le nom de Lesclide, secrétaire et assistant quotidien de Victor Hugo, n’y apparaît pas, et celui de Juliette non plus.

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