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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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7 janvier [1847], jeudi matin, 10 h. ¾

Bonjour mon bien-aimé adoré, bonjour ma vie, bonjour mon âme, bonjour ma joie. Comment vas-tu ce matin ? Je n’ose pas te dire comment je vais pour ne pas te paraître la créature la plus renfrognéea et la plus ennuyeuseb de la création. Du reste, je vais BIEN. Est-ce que tu iras à la réception d’aujourd’hui [1] ? Si cela était, je crois que je ne pourrais plus me contenir et que je lâcherais la bride à toutes les mauvaises pensées que je retenais à grand peine dans ma pauvre cervelle détraquée. Je t’attends avec toutes sortes d’impatience parmi lesquelles celle de te voir est la plus vive et la plus impatiente. Je m’étais dépêchée de finir de copier hier, espérant que tu me donnerais le soir même la suite de Jean Tréjean [2] mais je me suis trompée comme je le fais souvent. J’en ai été pour mes frais de diligence et de curiosité. Je ne suis pas née coiffée comme on dit. Il suffit que je désire et que j’espère quelque chose pour que cela ne me réussisse pas. Allons bien, voilà que j’en arrive tout doucement à grogner sans m’en apercevoir.
As-tu pensé à moi cette nuit, mon Victor bien-aimé, m’as-tu regrettée, m’as-tu aimée et désirée ? Plusieurs fois dans la nuit je me suis posé ces questions et j’y répondais en te désirant et en t’aimant de toutes mes forces. J’attendais le jour avec impatience pour être plus près du moment où je te verrais. Maintenant je compte les minutes. Je voudrais être à tantôt pour voir ta ravissante petite figure, pour te baiser, pour te sourire et pour être sûre que tu n’iras pas à la séance d’aujourd’hui. Dépêchez-vous de venir, mon petit homme chéri, vous n’arriverez jamais assez tôt au gré de mon impatience et de mon amour. Vous savez, monstre, que vous ne m’avez pas apporté La Presse d’hier ? Et vous croyez que c’est là ce qui rend une femme heureuse, SIMPLICE IMPERMÉABLE, TRAÎNARD DE LA FAMILLE ? Vous vous trompez joliment. Quant à moi, je suis furieuse, entendez-vous. Je suis lasse de n’avoir que des vieux journaux décousus, rassis et moisis. Vous pouvez bien les garder tout à fait, je n’y tiens pas, je m’en fiche pas mal de vos journauxc. Taisez-vous. Je veux mon Jean Tréjean, je le veux tout de suite ou la mort.

Juliette

Leeds, BC MS 19c Drouet/1847/05
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen

a) « refrognée ».
b) « ennuieuse ».
c) « journeaux ».

Notes

[1Il s’agit de la réception de Charles de Rémusat, élu par l’Académie française à la place vacante par la mort de Pierre-Paul Royer-Collard.

[2Jean Tréjean deviendra par la suite Les Misérables.

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