10 décembre 1849

10 décembre [1849], lundi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon bien cher petit homme, bonjour, mon amour de Toto, bonjour. Comment vas-tu ? Moi je vais t’aimant comme toujours et plus que toujours. Si tu n’avais pas été un vieux paresseux tu serais revenu hier au soir et tu m’aurais rendue bien heureuse. Mes marquis [1] se sont en allés à dix heures mais les Vilain [2] sont restés jusqu’à minuit. Tout cela n’était ni bien gai, ni bien amusant et n’était pas de force à faire contrepoids à l’ennui pesant que me cause ton absence. Je ne trouve de bonheur qu’en toi, avec toi et par toi, le reste m’est également insipide et fastidieux. J’ai depuis hier un petit nuage de jalousie dans l’esprit que tu parviendras à dissiper je l’espère par quelque bonne parole sincère partie du cœur. Mais en attendant je ne peux pas m’empêcher de m’inquiéter tant l’habitude en est invétérée en moi. C’est à ce point que j’ai peu et très mal dormi cette nuit, poursuivie que j’étais par une mauvaise pensée. J’espère bien que j’ai tort, que je suis une bête, une stupide Juju, mais je n’en serai assez sûre que lorsque tu me l’auras prouvé toi-même. Jusque-là je suis une pauvre femme très jalouse et très tourmentée.

Juliette

BnF, Mss NAF 16367, f. 349-350
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

10 décembre [1849], lundi midi ½

J’utilise tous mes petits papiers, mon cher bien-aimé, au risque de me trouver un peu à l’étroit dans un si petit espace. Car on ne saurait croire combien ces mots si simples : je t’aime tiennent de place dans le cœur et sur le papier quand on les y écrit^a avec toute la ponctuation qu’ils demandent. Exemple : Je t’aime ? Je t’aime ! Je t’aime, je t’aime. Je t’aime ; je t’aime – je t’aime………….^b Je t’aime : je t’aime !!!!!!!!!!!!!!^c J’en passe et des meilleurs [3] pour ne pas humilier le dictionnaire de l’Académie.
Cher adoré, que faites-vous dans ce moment ? À quoi pensez-vous et de qui êtes-vous occupé ? Je voudrais le savoir pour diriger et régler mes sentiments d’après les vôtres, mais vous êtes un vieux sournois qui ne laissez voir que ce que vous ne pouvez pas cacher et ne dites que ce que vous voulez perdre. Je sais tout cela et je n’en suis pas plus savante pour cela AU CONTRAIRE. Mais j’ai trouvé un moyen de m’instruire de TOUT et de bien autres choses encore dont vous ne vous doutez pas. Tremblez et frémissez dans votre peau perfide de Toto. Car JE SAIS TOUT. Je sais TOUT, TOUT.

Juliette

BnF, Mss NAF, 16367, f. 351-352
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « écris ».
b) Les points de suspension courent jusqu’au bout de la ligne.
c) Les points d’exclamations courent d’un bout à l’autre de la ligne.