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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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1er juin 1849

1er juin [1849], vendredi matin, 6 h. ½

Bonjour, mon aimé adoré, bonjour, avec tout ce que j’ai de plus pur, de plus tendre et de plus dévoué dans le cœur, bonjour. Je t’ai suivi des yeux hier jusqu’à ce que ta chère petite ombre ait tourné le coin de ma rue et puis je t’ai suivi de l’âme même à travers mon sommeil jusqu’à présent cher bien aimé, ne pense plus à mes violences ni aux reproches injustes que je te fais trop souvent parce qu’ils ne viennent pas de mon cœur mais de mon irritable et impatiente nature contre laquelle je ne peux pas toujours réagir autant qu’il le faudrait. Et puis souvent encore, et toujours même, ces explosions d’amertume ne sont que des tendresses trop longtemps concentrées et qui changent de nature par la fermentation. Vois-tu, mon bien aimé, je t’aime trop et il m’est impossible de t’aimer moins. Tout ce que je peux faire c’est de me renfermer le plus possible et de ne te montrer que ma résignation à cette vie si opposée à toutes les joies et à tous les épanchements de l’amour. C’est ce que je fais le plus possible. Malheureusement, je ne suis pas toujours maîtresse de moi, mais tu es si bon et si généreux et si indulgent pour ces moments de folie que je ne les regrette que pour l’ennui qu’ils te causent. Quant à moi, si j’étais capable d’une spéculation aussi monstrueusement égoïste, je serais atrocement méchante tous les jours pour avoir le bonheur de te voir si bon, si doux et si ineffablement patient que tu l’es. Mais je suis incapable de cette féroce combinaison et quand je suis méchante c’est à mon cœur défendant car je t’aime plus que moi-même et plus que mon bonheur.

Juliette

MVHP, MS a8215
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine


1er juin [1849], vendredi soir, 9 h.

Je tâche de combler le vide de ton absence, mon doux adoré, en te gribouillant toutes sortes de tendresses ; mais, quoi que je fasse, je n’y parviens pas. Je suis plus seule que jamais. Et j’entrevois avec terreur que je ne te verrai probablement pas avant demain. Cependant, je ne désespère pas encore et je t’attends de toute la force de mon amour. En te quittant tantôt, je suis allée me reposer chez la mère Sauvageot, de là chez Lepelletier acheter de l’élixir puis chez le marchand de tableau qui n’a pu que me faire une croix sur [cent façons de reçus que j’ai écrits  ?] au crayon puis ensuite chez Jourdain qui a été on ne peut pas plus touché de ta bonté. Puis enfin chez moi où je suis tombée de lassitude et d’échaubouillures. Tellement que [je] n’en suis pas encore revenue et que je continue de suer et de boire comme si j’avais tous les rayons du soleil dans le ventre et sur le dos. Quelle horreur ! Cependant, je me suis achetéa le fameux Corisandre vert [1] sans lequel je crois, je serais arrivée à l’état de gigot de sept heures. Je n’ose pas penser à ce que je serai demain si cette chaleur continue. Vrai, c’est un supplice pour moi que cette suerie perpétuelle. Je t’admire de traverser cette température de fonte en ébullition sans en être ému. Quant à moi, je n’ai pas cette sécheresse…. de peau, tant s’en faut, et je bisque à grosses gouttes. Bonsoir, bien-aimé, à tout à l’heure j’espère. En attendant, je t’adore de toutes mes forces.

Juliette

MVHP, MS, a9047
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

Notes

[1À élucider.

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